Chapitre 2 - Louise

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Les animaux naturalisés, positionnés comme des bibelots derrière les vitrines floutées par des traces de doigts, le brouhaha circonspect de la foule, l'odeur de la transpiration se mêlant à celle du vieux teck, la poussière pailletant dans les rayons du soleil... C'est tout cela, le Musée d'histoire naturelle de Nantes, et pour nous, c'est toujours un rendez-vous.

« Et tu ne te souviens même pas de son visage ? » Louise pose son crayon et son calepin à l'extrémité du banc. « T'es sérieux ? »

Je soupire, la pointe de mon critérium naviguant sur la mer de mon inspiration, écumant le papier par élans de vagues de graphite.

« Ouais. C'est incroyable, non ?

— Incroyable ? Ridicule, tu veux dire. Comment peux-tu tomber amoureux de quelqu'un si tu ne sais même pas à quoi ressemble cette personne ? Si ça se trouve, cette fille, c'est Frankenstein avec une perruque et un peu de rouge à lèvres. »

Petit coup de crayon, petit coup de crayon, petit coup de crayon.

« C'est toi qui es ridicule, dis-je. Et comment ils font, les aveugles ? Est-ce qu'ils doivent peloter le visage et le corps des gens pour les aimer ? Si t'as un trop gros nez, du poil au ventre ou un double menton, est-ce qu'ils le pincent et te disent : non, là, franchement je ne le sens pas... Je ne te croyais pas si superficielle, Louise.

— Ce n'est pas pareil et tu le sais. Toi, t'arrives comme une guimauve et tu m'annonces que tu t'es amouraché d'un regard. Est-ce que tu réalises ? D'un regard ! Quel aveugle pourrait en dire autant ?

— Je ne sais pas, le genre qui voit ce qu'on ne peut pas voir.

— Mais tu ne la connais pas, insiste Louise en montant dans les aigus. Vous n'avez même pas échangé un seul mot !

— Je n'en ai pas eu le temps. J'avais rendez-vous à 15 h pétantes avec une copine exigeante qui déteste les gens en retard. Tu vois de qui je parle. Et puis, ça s'est passé tellement vite. Nos regards se sont croisés. Je suis sorti, elle est entrée, et le tramway s'en est allé. Mais je l'ai tout de suite aimée, c'est comme ça. C'est sans doute ce qu'on appelle le coup de foudre.

— Le coup de foudre ? » Louise hausse les sourcils et secoue la tête. « Je n'y avais pas pensé, mais c'est évident. Il suffit d'un éclair divin pour comprendre l'amour, ce sentiment si profond et si précieux. Oh, oui, merci à toi cupidon de nous simplifier la vie !

— Hey... Peut-être que c'est ça l'amour, justement. Peut-être que c'est facile, et que c'est nous qui le rendons compliqué. Tu juges, mais toi, tu avais bien rencontré ce gars sur internet. Luke, ou Lucas, je ne sais plus...

— Ludovic.

— Ouais, c'est ça. Ludo. Tu l'as aimé dès que tu as entendu le son de sa voix sur Skype, il me semble, non ? Tu ne le connaissais même pas. Tu ne savais ni à quoi il ressemblait ni quel genre de vie il menait. Et pourtant, tu en es tombée amoureuse. C'est comme ça – ça ne s'explique pas.

— Tu oublies de préciser que je n'avais que 15 ans à ce moment-là. J'étais naïve comme une huître fraîchement citronnée. Je croyais que Ludovic avait le même âge que moi, alors qu'en fait, il frôlait les 52 ans. J'étais amoureuse de lui sans savoir que c'était un vieux pervers pédophile narcissique fan de Mylène Farmer. »

J'esquisse un sourire amusé.

« Ouais, on peut dire qu'elle est inoubliable, celle-là. Je te revois me bassiner avec ta rengaine : oh, Ludo... Mon Ludo ! Bien plus qu'un homme, c'est mon destin ! Dans trois mois, on se rencontre pour la première fois. Dans quatre ans, on part vivre en Californie, et dans cinq ans, on fait un enfant. Il sera magnifique, on l'appellera Enzo... » Je ris. « Un beau jour, Ludo te donne rendez-vous à la gare. Et là, BAM ! Tu le rejoins et tu constates qu'il a perdu tous ses cheveux, qu'il a 52 ans, une alliance et 60 kilos en trop.

Ton papillon noirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant