Chapitre 7 - 1, 2, 3, soleil !

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Le succès, la mort, l'amour... C'est étrange comme toutes ces choses nous tombent dessus lorsqu'on s'y attend le moins. À croire que la vie joue à un, deux, trois, soleil ! avec nous. C'est quand on est dos à notre existence qu'elle avance. Se retourner, en avoir conscience, lui faire face, c'est la condamner à rester figée. Fermer les yeux, compter, patienter, ce sont les règles pour perdre, mais aussi gagner.

Un, deux, trois...

Louise est là. Elle est venue jusqu'à ma porte. Je boucle la ceinture de mon pantalon. Mon tee-shirt blanc est troué, je ne suis pas rasé et j'ai les cheveux en bataille. Négligé de la tête aux pieds, je dois avoir une dégaine à faire pâlir un bureaucrate. Il ne manque plus que les pantoufles déchirées, la manette de PlayStation dans les mains, et la tâche de ketchup sur le col pour faire de moi un authentique tire-au-flanc. À contrario, Louise est superbement apprêtée. Elle porte une longue veste en coton mesurant sa taille à la lanière, ainsi que des chaussures à talon qui galbent ses fines jambes et dressent sa silhouette avec élégance. Ses cheveux blonds sont soigneusement coiffés, ses lèvres sont teintées d'un rouge à croquer, et ses yeux sont sublimés d'un coup de crayon. Ses joues sont comme je les aime tant, roses, mordues par l'effort ou par le froid.

J'ai toujours trouvé que Louise avait un petit air d'Alice Isaaz, mais à ce moment-là, la ressemblance est plus frappante que d'habitude.

Je la regarde de haut en bas, à la fois surpris et fasciné. Louise est du genre à porter des vêtements décontractés. Elle est d'un naturel bohème et démaquillé. Ça fait partie de sa personnalité, et c'est ce qui fait son charme. Celle qui se tient devant moi est différente, mais c'est tout aussi agréable de la voir de cette manière. Les cosmétiques ont parfois du bon, quand ils font l'exception. Ils surprennent et offrent une autre perception, quelque chose de nouveau qui entame notre imagination.

Je prends une grande inspiration et je sens son parfum floral et vanillé – une flagrance envoûtante, un petit air de jardin secret. Louise est là, belle et sublimée. Je rougis devant sa prestance.

« Qu... Quid Novi ? »

Louise esquisse un sourire triste.

« Je suis venue m'excuser. Je suis désolée pour tout ce que je t'ai dit lundi. Je ne le pensais pas. »

Embarrassé, je passe la main dans mes cheveux et je me gratte la tête.

« Non, tu n'as pas à t'excuser.

— Si... bien sûr que si. Tu avais raison. Ce n'est pas toi qui es égoïste, c'est moi qui suis jalouse. Je n'ai pas supporté que tu tombes amoureux d'une autre fille. »

Je hausse les épaules.

« Arrête. Tout ça, c'est des conneries. Je suis le pire des égoïstes et je m'en suis rendu compte. Je n'aurais jamais dû te raconter tout ça – pas à toi en tout cas. Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'étais complètement euphorique quand je suis arrivé au musée. J'avais besoin de partager ça avec quelqu'un, d'en parler. J'ai eu tort. J'aurais dû m'en abstenir.

— Non. Tu t'es confié à moi, et j'aurais dû t'écouter plutôt que de te juger. » Elle baisse les yeux. « Après tout, tu as le droit de tomber amoureux de qui tu veux.

— Ouais, mais quand j'y repense maintenant, je réalise que ce regard... » Je fronce les sourcils et je secoue la tête. « Finalement, ce n'était pas si important que ça. Tu n'avais peut-être pas tort lorsque tu disais que ce n'était que de la pitié. »

Le visage de Louise s'illumine et je peux deviner un sourire retenu aux coins de ses lèvres. Je sens mon cœur devenir plus léger dans ma poitrine – un ballon crevé, puis réparé, qui se regonfle à force de confessions.

« J'ai essayé, tu sais, m'avoue-t-elle. Je me suis dit que ça ne servait à rien de m'accrocher. Que toi et moi, ça ne marcherait jamais. Je me suis enfermée chez moi, espérant trouver un remède à tout cet amour qui m'empoisonne la vie. Mais je n'y arrive pas. Je ne parviens pas à me passer de toi. Je sais que tu ne m'aimeras jamais comme je t'aime, mais c'est plus fort que moi. J'ai besoin d'être avec toi, j'ai besoin de ta présence, de ton parfum, de ta voix. J'ai envie de te sentir contre moi... »

Elle a les larmes au bord des yeux.

« Qu'est-ce que je dois faire, moi ? me demande-t-elle d'une voix chevrotante. Cet amour, ce que je ressens pour toi, ça me tue à petit feu, et je n'arrive même pas à m'en passer plus de six jours de suite. Je suis condamnée à t'attendre, à sans cesse te désirer, sans jamais te posséder. »

La voir dans cet état m'entaille le cœur. J'ai tendu la main à une rose, et maintenant, j'en subis les épines. Je ne sais pas quoi lui dire, je ne sais pas quoi lui répondre. Je me sens lâche et coupable.

« Écoute, je comprends ce que tu... »

Elle essuie ses larmes du bout de ses doigts et étale un peu de son mascara. Elle hausse les épaules.

« Laisse tomber, Jules. Je ne sais pas ce que je fais là. Tu vas encore me dire la même chose : que tu as peur de me blesser, que tu ne veux pas que notre relation change parce que si on se mettait en couple, on finirait par se séparer. Et tu as peut-être raison. Mais je préfère essayer et échouer, plutôt que de ne rien tenter. Je suis folle de toi, Jules. Et cette situation... Je suis en train de devenir folle tout court.

— Louise. Tu sais que c'est bien plus compliqué que ça... »

Son visage se ferme subitement, troquant la peine contre la déception et la colère. Les rides remplacent les larmes.

« C'est bon. J'ai compris. Laisse tomber, ce n'est pas grave. Je ne faisais que passer de toute façon. »

Elle se retourne, s'apprêtant à fuir à longues jambes. Je la rattrape par le bras.

« Attends. Louise... »

Elle se fige, essuyant son visage de sa main libre. Elle fait demi-tour pour me regarder. Ses joues humides brillent sous la lumière orange du couloir. Elle se mord la lèvre inférieure et déglutit. Les mots semblent difficiles à prononcer.

« On ferait mieux d'arrêter de se voir, dit-elle. On devrait faire, je ne sais pas... une cure de désintoxication – un genre de... love détox. » Elle hoche la tête et renifle. « Oui, c'est mieux comme ça. Il faut qu'on s'éloigne. Laisse-moi partir. S'il te plaît. J'ai besoin qu'on s'éloigne. »

Je soupire.

« Louise... »

Elle se fige, son regard planté dans le mien, tel un animal agonisant, pris au piège. Mes doigts se cramponnent à la manche de sa veste. La raison me dit de la lâcher, de lui rendre sa liberté une bonne fois pour toutes, mais je sais que si je le fais, ça ne sera plus jamais pareil.

J'esquisse un sourire.

« Louise, tu... tu es magnifique. »

À cet instant, nous échangeons quelque chose comme une onde ou un courant. Non, une étincelle. C'est ça, une étincelle de folie, d'amour, d'envie. Une première flamme qui embrase le noir charbon de nos plus profonds désirs. Sans un mot, elle s'avance pour se blottir dans mes bras. Elle me regarde comme si je lui appartenais, et je lui rends comme si c'était vrai. Je glisse une main sur sa hanche, l'autre sur sa mâchoire, puis je pose mes lèvres contre la chaleur des siennes. Je lui vole son souffle.

Nous nous embrassons.

Ton papillon noirWhere stories live. Discover now