Chapitre 6 - La meilleure amie

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Les jours de la semaine passent. Je me rends devant la médiathèque tous les après-midi, espérant y croiser de nouveau ce regard qui m'obsède. Ce n'est pas le cas. J'en profite pour griffonner les ébauches d'un nouveau projet. Un client m'a commandé trois illustrations destinées à paraître en fond d'écran d'un jeu vidéo pour smartphone. C'est une chouette opportunité qui peut me rapporter un bon billet – si je bosse comme un chameau, c'est-à-dire deux fois plus.

Nous sommes dimanche et ça fait 6 jours que je n'ai plus de nouvelles de Louise – depuis notre dispute, en fait. Elle ne répond à aucun de mes messages et bloque chacun de mes appels. Je suis passé chez elle, j'ai frappé à la porte de son appartement, j'ai même laissé un petit mot d'excuse accompagné d'un paquet de fraises tagada (ses bonbons préférés) dans sa boîte aux lettres.

Silence radio.

C'est bien la première fois que ça arrive. Louise s'est toujours montrée compréhensive et bienveillante à mon égard. Elle est d'une rare bonté d'âme. Je la vois un peu comme une mère Thérésa des temps modernes – en plus excentrique et beaucoup moins pieuse. Je dois avouer que quand ça ne va pas, je peux être détestable, mais elle ne m'en a jamais tenu rigueur.

Enfin, jusqu'à maintenant.

Nous nous sommes connus au collège. Je me souviens de la première année que nous avons passée ensemble. Nous étions placés côte à côte en cours de Latin. Nous étions plutôt timides à l'époque, mais, avec une certaine ironie, la langue morte à délier nos langues belles et bien vivantes. Notre première conversation a eu pour sujet la choucroute capillaire de notre chère professeure – un vrai nid de cigogne. TouffTouff, qu'on l'appelait ! Nous avons tellement ri à son propos que cela nous a menés à nous revoir en colle, en compagnie de l'étrange surveillant, Monsieur Natotemba – un homme d'origine congolaise qui te demandait de t'asseoir devant lui juste pour te regarder dans le blanc des yeux.

Après ce jour-là, notre relation a fleuri aussi naturellement que le printemps. C'est comme ça. Parfois, quand les conditions le permettent, on se remarque au milieu d'une saison, et on s'attache pour toutes les suivantes. Jour après jour, nous avons créé des liens forts, capables de résister à toutes les intempéries. Nous avons acquis des codes qui n'appartenaient qu'à nous deux – comme des badges identiques collés sur nos sacs à dos. On se parlait du regard, on prenait soin de l'autre avec un sourire, et on faisait la mouette pour se moquer des gens qu'on n'aimait pas. Lorsqu'on se voyait, notre première conversation commençait toujours par « Quid Novi ? » Ce qui veut dire : quoi de neuf ? Chose qui est restée dans le temps, et que nous employons encore aujourd'hui comme une vieille tradition. Les week-ends, les soirées, les bonnes ou même les mauvaises nouvelles, faisaient le prétexte pour « Nunc est bibendum » – c'est maintenant qu'il faut boire. Aussi, lorsque Lucille Armans, une peste adulée par toute la classe sauf nous, faisait son irruption dans les couloirs du Lycée, le code était « Cave canem » – attention au chien.

Nous avons pris notre première cuite ensemble, à s'en vomir sur les chaussures. Nous avons vécu les réussites et les débâcles main dans la main. Je l'ai enfermée dans ma valise, ou peut-être l'inverse, et nous avons fait notre petit tour du monde – Espagne, Pérou, Mexique, Canada, Australie...

Quand j'y repense, qu'est-ce qu'on a pu s'amuser tous les deux.

Au collège, Louise disait que j'étais le chocolat surprise de la boîte. Pas celui qui contient de la liqueur à la cerise. Oh, non. Si Ludo, le joyeux pédophile, allait faire partie de ces désagréments-là, moi j'étais plutôt celui que personne ne choisissait, à tort. En apparence, j'avais l'air d'être dur sous la dent, mais quand on me croquait, on se rendait compte que j'avais un cœur en caramel mou.

Ton papillon noirWhere stories live. Discover now