Chap 20 : pdv Idgie

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J'aimais regarder le vent jouer avec les branches, écouter le bruit du ruisseau. Fermer les yeux et oublier le reste du monde. Juste penser à cet instant de quiétude, loin de l'école, de mon père, d'internet. Loin de la haine, loin de la jalousie et des moqueries.

J'aimais cet endroit, car le réseau était pourri. C'était bête, mais ici, je me sentais protégée des ondes, préservée de ce monde connecté qui me dévastait.

Avant, je venais souvent ici me promener avec maman. Nous quittions l'école à deux, main dans la main. Nous marchions jusqu'aux champs et nous suivions le ruisseau jusqu'à ce tronc.

Le grand arbre nous protégeait du soleil ou de la pluie. Là, nous mangions une collation en riant, tout en nous racontant nos journées.

Ces moments précieux me manquaient tellement. Lorsque je venais ici, j'aimais repenser à cette vie d'avant où mon avis avait de l'importance, où je me sentais heureuse et aimée, considérée et écoutée.

Maman, tu me manques tellement.

-Elle te manque ? me demanda soudain Lali.

Lali, tu me connais vraiment par cœur.

-Énormément, répondis-je doucement.

-Tu n'es pas trop triste de revenir ici sans elle ?

-Si ça me rend triste, mais en même temps, ça me fait du bien de me rappeler ces moments.

-Je comprends.

-Parfois, j'ai l'impression qu'elle va nous rejoindre. Puis, je me rappelle que non, que je ne la reverrai jamais. C'est injuste, mais c'est comme ça.

-Et ton père, ça se passe bien avec lui pour le moment ?

-Bof. Parfois, j'ai l'impression qu'il n'est pas affecté par la mort de maman.

-Tu te trompes, il doit être triste.

-Tu crois ?

-C'est évident.

-Rien n'est évident avec lui.

-Regarde comment il agit avec toi. Il n'était pas comme ça avant. Je suis certaine qu'il oublie sa tristesse en essayant de te rendre célèbre, comme pour se racheter de quelque chose.

-Peut-être. En fait, maman voulait devenir célèbre avant.

-Tu vois que j'ai raison.

Je fixai le ruisseau. J'aurais tellement voulu revenir en arrière pour retrouver ma chère maman. Elle me manquait, mais cela ne me dérangeait plus d'être malheureuse. J'avais l'habitude.

Pourtant, lorsque les autres regardaient ma vie, ils se disaient sûrement que j'avais tout pour être heureuse, mais c'était faux. Ils ne pouvaient pas comprendre ce que je vivais.

Trop souvent, il n'y avait que les apparences qui comptaient. Je donnais certainement l'impression d'être une princesse pourrie gâtée et populaire, juste une poupée sans cervelle.

Je me demandais souvent pourquoi il y avait sur terre si peu de personnes comme ma meilleure pote Lali. Pourquoi les personnes gentilles comme elle étaient-elles si rares ? Était-ce tellement plus facile d'être méchant et moqueur ?

Je levai les yeux vers mon amie qui fixait le ruisseau en silence.

-Merci d'être venue avec moi.

-Y a pas de quoi.

-Je me sens moins seule grâce à toi.

-Pareil pour moi. Sans toi, je serais la risée du lycée.

-Pas forcément.

-D'office.

-Tu es trop dure avec toi-même.

-Trop dure avec moi-même ? Non, je suis juste lucide.

Elle baissa les yeux pour fixer une plaque d'eczéma qui envahissait son bras. Elle tira sur sa manche par réflexe puis leva un regard mélancolique vers moi.

-Lali, tu ne dois pas être gênée devant moi. Tu le sais ?

-Oui, mais c'est un réflexe. Cacher toute cette misère, dit-elle en tirant davantage sur son pull distendu.

-Pourquoi l'école, c'est tellement la galère ?

-Peut-être pour nous aider à grandir ?

-Tu crois ? Et bien ça promet pour la suite !

-Ne m'en parle même pas.

Le train de nos vies ordinairesWhere stories live. Discover now