Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1

Sverre Glaadirun

Appuyée contre l'encadrement de la porte du couloir, Naola, quinze ans, observait ses parents s'apprêter avec un petit sourire au coin des lèvres.

Son père, Britton, terminait de nouer sa cravate avec des gestes habitués. La penderie à laquelle il faisait face, comme tout bon dressing enchanté, lui présentait plusieurs choix de manteau et de cape en accord avec sa tenue.

Hyzerfrid, sa mère, finissait quant à elle d'arranger sa coiffure dans le miroir du vestibule. Son concentrateur, un pendentif aux reflets irisés, pulsait d'une lumière douce au rythme des impulsions magiques de la sorcière : elle usait de petits sortilèges et de charmes pour réajuster les gracieuses boucles sombres qui tombaient de son chignon ; un savant maillage de tresses et d'épingles rassemblées sous une élégante dentelle. Naola avait toujours adoré la dextérité avec laquelle elle agençait ses cheveux.

Sa mère croisa son regard et lui adressa un sourire par-delà la glace.

« Alors ma chérie, pressée de nous mettre dehors ? plaisanta-t-elle

– Un peu oui, pour une fois que vous me lâchez la grappe ! » répondit Naola sur le même ton.

L'adolescente se détacha du cadre de porte pour attraper un beau châle vert, qu'elle tendit à sa mère. Ce soir, ses parents, invités à un repas, la laissaient seule toute la soirée – une grande première !

« Vous avez la classe, quand même, tous les deux ! s'exclama-t-elle en reculant d'un pas.

– Tu dis ça comme si ça te surprenait », rit son père.

Il avait finalement opté pour une cape grise, sobre, mais élégante. Fin prêt, il se tourna vers sa fille et écarta les bras, comme pour obtenir son approbation. Naola leva le pouce et lui adressa un clin d'œil.

« T'es parfait, papa ! »

Il s'inclina légèrement, hilare. Sa mère, qui avait terminé de se préparer, le pressa, non sans une évidente tendresse :

« On va finir par être en retard, Britton.

– Allons-y. Naola ?

– Ouaip ?

– Tu me rappelles les consignes ? »

L'adolescente leva les yeux au ciel, s'étira, puis passa ses mains derrière la nuque, déclamant :

« Je mange, je peux regarder des cadres...

– Deux maximum, reprit sa mère.

–... je ne vais pas me coucher trop tard, et s'il y a le moindre problème, je vous contacte et je vais chez Mme Kendel qui est prévenue que vous êtes de sortie ce soir.

– Et n'oublie pas tes devoirs, ajouta Britton avec un grand sourire.

– Et je... Mais c'est le début des vacances ! se récria-t-elle. J'ai tout l'été pour les faire !

– Raison de plus pour t'en débarrasser vite, répartit-il.

– Si je fais un exercice, on va voler demain, négocia Naola.

– Vendu, conclut son père.

– Et je prends ta bécane...

– Alors là tu rêves, jeune fille ! »

Britton déposa deux bises sonnantes sur les joues de Naola, Hyzerfrid la serra dans ses bras et, quelques minutes plus tard, l'adolescente se retrouva complètement seule chez elle. Pour son plus grand plaisir.

Elle expédia ses devoirs en vitesse, et le repas se transforma en orgie de petits pains trempés dans du chocolat chaud.

Installée dans le canapé en cuir du salon, celui sur lequel elle n'avait pas le droit de poser les pieds, Naola regardait son troisième cadre mnémotique de la soirée. L'artefact de divertissement lui narrait, avec force détails et dialogues saupoudrés de larmes et de paillettes, la romance interdite entre un garou sauvage et la jeune sorcière chargée de le traquer. L'héroïne parvenait à capturer la bête, mais elle le découvrait plus sensible et humain que tout ce qu'on avait tenté de lui faire croire. L'intrigue se déroulait durant les Cataclysmes qui avaient détruit l'ancien monde, trois cents ans plus tôt, et les deux amants profitaient du chaos pour fuir l'Angleterre menacée par une catastrophe nucléaire et la montée des eaux. Les caractères du récit défilaient, à mesure de sa lecture, et le mnémotique agrémentait l'histoire de petits sortilèges qui suggéraient sons, odeurs, sensations et images à l'adolescente immergée dans le roman. L'heure du couvre-feu était passée depuis longtemps.