La Vieille Naine

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Trouver de quoi gagner sa vie s'avéra bien plus complexe que ce à quoi Naola s'attendait.

Elle se présenta dans plusieurs bars et dans toutes les boutiques des Halles Basses, l'extrême limite du quartier couvert, sans dénicher la moindre piste. Même ceux qui embauchaient ne voulaient pas d'elle. Personne ne la prenait au sérieux.

Suivant les conseils de Harlem, elle se montrait très discrète. Le secteur, très populaire, se peuplait d'une multitude d'étranges personnages ; sorciers hors-la-loi ou en passe de le devenir, humains, méca, vampires, loups et autres presque-humains. Il y régnait, du matin jusqu'au milieu de la nuit, une effervescence tantôt tendue, tantôt joyeuse.

Les basses classes de la Fédération fabriquaient leurs codes, leurs règles, leurs clans. Des factions qui n'hésitaient pas à s'affronter en pleine rue... ou à faire front commun, coudes à coudes, quand les P.M.F. s'aventuraient dans cette cour des miracles.

Par le plus grand des hasards, l'adolescente finit par trouver une logeuse. La Vieille Naine, ainsi qu'elle se présentait, avait des allures de patate mais faisait preuve d'une bienveillance presque suspecte au milieu de toute cette hostilité. Elle lui proposa, pour cinq dens la semaine, un couchage dans les combles de son établissement.

L'étrange personnage possédait une maison de six étages et trois sous-sols. Elle installa la jeune sorcière dans une mansarde un peu poussiéreuse avec un matelas à même le sol, une couverture et beaucoup de courants d'air entre les tuiles mal jointes de la toiture...

Naola s'en contentait. Mieux : la fenêtre de la chambrette ouvrait sur le toit du bâtiment, et elle pouvait s'y faufiler sans difficulté. Elle profitait alors d'une vue à couper le souffle. L'immense enchevêtrement d'étroites verrières, de tôles, d'ardoises, de planches et de métal qui composait le couvre-chef des Halles Basses s'étirait sous ses yeux, splendide et décrépit.

Cela faisait quinze jours qu'elle était partie de chez elle. En ce milieu d'été, la nuit se faisait douce. L'adolescente la passait installée le dos contre une des cheminées du bâtiment, à compter les étoiles tout en méditant sur son avenir.

Elle observait, à l'est, le ciel nocturne se diluer lentement dans les couleurs de l'aube. En dessous d'elle, Stuttgart s'éveillait. Elle, elle n'avait pas dormi, angoissée par l'impasse de sa situation.

Quinze jours, toujours pas d'emploi, et ses économies fondaient à vue d'œil. Il fallait bien manger. Elle notait chaque dépense, chaque quart de den qui l'éloignaient des deux milles nécessaires à son indépendance et à l'achat de son hexoplan.

Personne ne daignait même lui accorder quelques minutes pour un entretien d'embauche. Certes, elle n'avait aucune expérience, mais les boulots auxquels elle postulait ne demandaient pas de qualification particulière... La jeune fille en était à soupçonner un complot, un stratagème sournois mis en place par ses parents pour qu'elle rentre d'elle-même chez elle, la queue entre les jambes. Qu'ils espèrent ! Ça n'était pas près d'arriver !

La Vieille Naine refusait, comme tous les autres, de la prendre ne serait-ce qu'à l'essai. Le travail était trop dangereux pour elle, avait-elle dit à Naola d'un air désolé. Elle lui avait tapé dans le dos en lui soufflant de ne pas se décourager, puis s'en était allée gérer ses affaires.

Pourtant, du travail, il y en avait dans le grand bâtiment qu'elle dirigeait de sa voix de stentor. Chacun des neuf niveaux abritait un atelier que Naola supposait clandestin. En sortaient nombre de contrefaçons d'artefacts, d'étoffes bon marché et d'armes pour mécamage.

Toutes les pièces s'avéraient réversibles, au sens propre du terme. Durant la semaine qu'elle venait de passer là, des P.M.F. s'étaient présentés, un matin, à la porte de la Vieille Naine. Ils l'avaient sommée, mandat de perquisition en main, de les laisser fouiller le complexe. La vieille les avait accueillis avec simagrées et politesses. Elle leur avait désigné Naola comme sa « petite assistante » et les avait guidés d'étage en étage. La jeune fille, inquiète, s'était pliée au rôle en se demandant si, finalement, elle n'avait pas jugé trop vite comme illégales les activités de sa logeuse. S'il lui restait encore des doutes, ils furent chassés par la visite.

Bienvenue au Mordret's Pub - Tome 1Where stories live. Discover now