Chambre blanche

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Emily avait le regard dans le vide. Rien ne l'intéressait plus.
Elle ne comptait pas le temps. Elle avait oublié comment faire, et à quoi cela servait.
Le visage de sa mère la hantait, elle qui avait simplement voulu lui offrir un anniversaire digne de ce nom. Elle voyait les rides aux coins de ses yeux, la fine ligne de sa bouche qui souriait mystérieusement, ses yeux bruns qui brillaient quand elle parlait de son projet. Le projet SHIELD, si elle se rappelait bien.

La femme blonde était venue plusieurs fois lui faire des injections. Elle avait semblé contente, car elle lui avait donné des anti-douleurs.
Cela n'avait pas suffit. En fait, cela n'avait jamais suffit.

La pièce était carrée, blanche, vide. Il n'y avait qu'elle, le lit immaculé et les caméras qui tournaient.
Emily regardait le plafond blanc tandis que les caméras tournaient, le voyant rouge constituant la seule couleur dans la pièce.
Rien d'autre ne venait égayer sa vision.
La chambre blanche était parfaite. Parfaitement blanche, parfaitement lisse. Le regard rivé sur le plafond, elle cherchait les défauts et n'en trouvait aucun.
Emily avait compté les carreaux blancs du sol, des murs et du plafond.
92. Il y avait 92 carreaux blancs, parfaitement alignés, de quoi satisfaire les maniaques.

Mais Emily n'était pas maniaque. Elle ne l'avait jamais été. En fait, c'était plutôt l'inverse.
Elle était une gamine des rues. La perfection, elle la haïssait, cela la rendait folle.
Elle avait toujours aimé troubler la surface lisse d'un plan d'eau avec une pierre, répandre de la boue sur un carrelage impeccable ou briser des vitres pour les rendre inégales.
Peu à peu, son monde mou tremblait de panique. C'était trop parfait, cet endroit la stressait.

Il n'y avait au premier abord aucun son, mais elle percevait un bourdonnement presque inaudible, continu et uniforme.
Oh, il n'était pas bien fort, mais à l'entendre continuellement il devenait assourdissant.
Emily faillit complètement plonger dans la folie.
Le bruit lui martelait le crâne, elle se roulait par terre, les mains sur les oreilles, en hurlant de douleur.
Alors les hommes en blanc venaient, il lui faisaient une injection et s'en allaient pendant qu'elle convulsait par terre, replongeant dans son monde visqueux.

Les injections des hommes étaient bien moins douloureuses que celles de la femme blonde. Celles de la femme brûlaient aussi fort que la première fois, la faisant hurler, pleurer, et elle ne parvenait pas à s'évanouir.

La salle blanche lui faisait du bien. Pas le bruit évidemment, ni les visites ou la perfection, mais la couleur pâle soulageait ses yeux révulsés par la douleur.
Elle suivait des yeux le mouvement de va et viens des caméras installées aux angles du plafond. Cela l'aidait parfois à se concentrer un peu, à penser à autre chose qu'à la douleur.

Emily regardait le plafond, ses aspérités.
Personne ne l'avait autorisé à se laver depuis le temps qu'elle était là.
Elle ne comptait pas le temps, mais ses cheveux blonds magnifiques étaient devenus bruns à force d'être gras, et emmêlés faute de brosse, étalés sur le carrelage blanc.

Le visage de Peggy s'était effacé pour être remplacé par celui de Howard Stark.
La barbichette, la moustache chic et élégante, le regard malicieux et intelligent, les cheveux bien plaqués en arrière et le costume impeccable.
Les avant-bras couverts d'huile qu'il tentait de cacher sous ses manches, le sourire qu'il avait quand il parlait de son entreprise. L'entreprise Stark, une révolution.

Emily regardait le plafond en pensant à Howard Stark, et peu à peu son cerveau embrumé prenait le relais, retrouvant des réflexes perdus.
Elle mémorisait inconsciemment le temps que mettaient les caméras à retourner à leur position initiale, les minuscules défauts des gonds de la porte, les tours de garde devant la chambre blanche.

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