David

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    J'ai tout organisé parfaitement, peaufiné le moindre détail, anticipé le moindre imprévu. Ce soir, si tout se passe bien, je serai en deuil, orphelin de père.

    Tout est trop simple, cela en est presque ennuyant. Je ne pensais pas que préparer le meurtre de son père était aussi ordinaire. C'est finalement assez ressemblant à l'organisation d'une fête; peut-être suis-je réellement doué pour cela après tout. Le plus difficile pour moi, c'était sûrement de choisir le costume que je porterai pour l'enterrement. J'ai longuement hésité entre le gris et le blanc, mais cela serait sûrement malvenu de me ramener sapé comme pour un mariage aux funérailles de mon vieux. Finalement, je me suis rabattu sur un costume noir, sobre et élégant. Je me suis même entraîné à pleurer devant le miroir et à feindre la douleur et la tristesse. Je me suis aussi préparé à embrasser des tantes éplorées, serrer des mains et consoler ma belle-mère en plastique. Pourtant, je n'aurai sûrement jamais le courage de prendre mon petit frère Théo dans mes bras et d'affronter son regard douloureux. Rien que d'y penser, une colère bien trop familière m'écrase la poitrine. Comment regretter un homme aussi mauvais que Maître Alexandre Magniard, un être aussi méprisable ? Un avocat véreux, un père et un mari médiocre. Cependant, je ne peux en vouloir à Théo de vouloir croire que son père est un héros, comme tous les petits garçons de son âge. Après tout, moi aussi, je me suis longtemps bercé d'illusions. Moi aussi, j'ai cru en lui avec obstination, presque avec aveuglement. J'ai refusé de voir ce qui était pourtant devant mes yeux depuis le début: mon père est un monstre, un géant au cœur glacé qui détruit tout. Alors, certains diront que c'est une décision égoïste que j'ai prise, la réaction d'un enfant en colère, mais je vois plutôt mon choix comme un sacrifice, celui de mon âme. Peut-être suis-je aussi détestable que lui en définitive ? Ouais, je suis aussi pourri, pas de doute. On ne peut rien faire contre la génétique. Cependant, j'aime à croire qu'en abandonnant mon âme au Diable, j'empêcherai Théo de devenir comme nous. Alors, cela en vaudra la peine.

    C'est ainsi qu'a germé dans mon esprit tordu l'idée d'organiser ce que je savais faire de mieux: une méga teuf ! La fête dont tout le monde parle le lendemain, celle qui reste gravée dans les mémoires, où l'on picole, où l'on se drogue, où l'on drague... Et pour moi, qui me servirait de parfait alibi. J'ai tout de suite pensé à la nouvelle de la résidence, une fille un peu glauque toujours vêtue de cuir et de noir. Grâce à moi et mes talents d'animateur de soirée, elle sera reine d'un soir. Bien sûr, j'ai aussi convié Olivier, mon pote du B15 avec qui j'ai fait les 400 coups. Il est un peu plus jeune que moi mais aussi bien plus vieux en quelque sorte; d'une grande maturité pour ses 16 ans, il y a toujours une ombre de tristesse qui voile son regard et qui semble envelopper tout son être. C'en est parfois presque dérangeant, limite oppressant... Évidemment, mon plaisir ne peut être comblé sans un petit bonus que seule Beth, la junkie de l'immeuble, peut m'offrir: de petites pilules magiques qui font planer. Ce genre d'extra est un inconditionnel de toutes les soirées que j'organise, et c'est sans doute pour cette raison que le tout Paris rapplique dans mon appartement à la moindre occasion. Ce soir, j'aurai certainement besoin d'une dose bien plus importante que la dernière fois pour calmer mon anxiété et contrôler mes humeurs.

    Cela fait tellement longtemps que je me fournis chez Beth, qu'elle décroche son téléphone à la première sonnerie.

- Tu veux quoi cette fois, fils à papa ? Crache-t-elle.

- Bonjour à toi aussi chère voisine ! Tu es l'amabilité en personne aujourd'hui, je lui réponds d'un ton faussement cordial.

- Ouais, ouais, dépêche.

- La même chose que d'habitude mais rajoute un peu de cock cette fois. Ce soir, c'est un grand soir...

- Même quantité ? Demande-t-elle, blasée.

- Tu me connais, j'aime les sensations fortes.

- Tu prends plus, tu payes plus...

- T'es dure en affaires pour une camé. Combien tu veux ? je la questionne, exaspéré.

- Le double, lâche-t-elle, comme si c'était normal.

- Mais t'es dingue la toxico ! Tu m'as pris pour Bill Gates ?

- Non. Pour un gosse de riche. Tu payes ou t'as rien, connard.

- C'est bon, tu l'auras ton fric.

- Un grand soir, hein ? elle me demande après quelques secondes d'un silence pesant.

- Ouais, j'organise une fête pour la nouvelle de l'immeuble. Mais le reste te concerne pas, contente-toi de me filer la drogue, je te donnerai l'argent !

- Pour vingt de plus, j'peux te filer de la Foxy, aphrodisiaque plus efficace que les pilules bleues de ton daron..

- C'est bon, ça suffit, c'est juste un moyen pour toi de m'extorquer encore plus d'argent, sale voleuse ! J'ai pas de problème avec les filles, moi !

- Pourtant, vu ta tête... Récupère tes courses dans la poubelle de l'entrée à dix-huit heures.

- Je suis cool, je suis beau, je suis riche. Y'a qu'à toi que ça plaît pas ! Par contre, j'irai pas glisser mes mains dans une poubelle ! C'est peut-être dans tes habitudes la clodo mais moi, j'ai une réputation à préserver.

- En parlant de préserver, tu veux pas que je te fournisse des capotes ?

- Pourquoi ? Tu veux être la prochaine sur la liste, chérie ? T'as raison de vouloir te protéger, les filles comme toi, on sait jamais où ça a traîné...

- Enfoiré, j'veux juste plus d'argent, et ça serait con qu'un imbécile comme toi se reproduise.

- T'es amoureuse chérie, y'a pas de doute !

- Ta gueule, me hurle-t-elle avant de raccrocher. 


    Cette fille a un fichu caractère mais ça me plaît. Beth est très différente de toutes ces nanas pas assez habillées, trop maquillées qui me poursuivent de leurs avances. C'est un peu l'excentrique du coin, l'idiot du village dont on se moque parce qu'il est étrange: elle doit sûrement penser que c'est en se droguant et en écoutant du métal qu'on devient rebelle. Elle a tort, on est juste seul quand on passe trop de temps à ruminer sa colère. Je le sais mieux que personne.

Les Larmes de l'IkebanaWhere stories live. Discover now