Olivier

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Nous marchons Mickaël et moi, silencieusement comme si nous savions déjà tout les deux que quoi que l'on dise, un sentiment de malaise s'installera. Nous passons, comme d'habitude, par la petite ruelle et d'immenses maisons nous entourent en guise de paysage. Le chemin jusqu'à la résidence est un avant-goût de notre quartier huppé, étant donné que toutes les habitations sont parsemées de détails luxueux. Certains jardins sont dotés de fontaines, d'autres des sculptures de marbre surplombant la fraîche pelouse sûrement entretenue chaque jour par un quelconque jardinier.

Pas un jour nous n'étions pas rentrés ensemble, et pas une seule fois l'un de nous deux avait adressé la parole à l'autre. Comme un accord commun.

À chaque pas, je repense à la fête de David. Bien qu'il soit mon plus proche ami, j'ai même pas osé lui dire que ça me tentait pas trop d'y aller.

La dernière fois que j'étais allé à une de ses fêtes, c'était il y a quelques mois. J'y avais croisé ma copine. Ça m'avait d'abord étonné, vu qu'elle était sensé étudier pour un DS de français. Après m'être résolu à l'idée que réviser en pleine soirée n'était pas possible, je l'avais vu se coller au mec de la supérette du coin, un tatoué qui ignore sûrement l'existence des rasoirs.

Depuis, je n'avais jamais revu cette fille. Et je n'avais jamais remis les pieds à une fête.

Cette idée n'avait pas déplu à Jeanne, qui fronce les sourcils à chaque évocation de David. Pour elle, rien que le mot ''fête'' se rapporte à lui. Et puis, pour elle, ça signifie aussi que je peux rester plus longtemps à la maison garder la petite.

Mais, d'un autre côté, David tient vraiment à ce que je vienne pour l'arrivée d'une nouvelle dans la Résidence. Une fille sympa qu'il veut absolument me présenter. Plus âgé que moi, David a toujours été la pour moi, aussi bien dans les moments les plus durs que dans les plus heureux. C'est lui qui m'a appris à sonner frénétiquement à des portes puis à se barrer en vitesse, lui qui m'a signé les contrôles lorsque j'avais des 4,75 en chimie, lui qui m'a appris à parler aux filles et j'en passe. Je ne pouvais décidément pas ignorer tout ce qu'il avait fait pour moi et juste refuser son invitation. Car finalement c'était une occasion de ne plus voir ma famille, rien que ce ne soit que pour quelques heures, et une occasion de passer du temps avec David.

Mes pas se font plus rapides, au fur et à mesure que les pensées tourbillonnent dans ma tête. Je lance quelques fois des regards à Mickaël, comme pour m'assurer qu'il est toujours là, comme si il pouvait soudainement disparaître.

Instinctivement, je repense au repas d'hier soir quelque peu gâché. Il faut dire qu'entre eux et moi, ça n'a jamais été le grand amour. Notre entente repose sur un pilier fragile qui peut se briser à tout moment, comme si au fil des années nos différences se soulignaient, se démarquaient, jusqu'à creuser un fossé immense entre nous. Pour la première fois, Jeanne et André étaient tout deux rentrés à la maison ce qui relevait du miracle. La chemise violette d'André était tapissée de motifs farfelus et de tâches de transpiration couleur pourpre. Il n'avait même pas pris la peine de se changer pour passer à table, et l'habituel sourire figé de Jeanne m'exaspérait. Tout avait commencé lorsque Jeanne avait innocemment lancé comme sujet de conversation ''La joie d'avoir une nouvelle employée au Salon de coiffure''. Je ne me rappelle déjà plus du nom de cette fille, mais la bonne humeur de Jeanne avait ravalée la mienne et je ne cessais de lever les yeux au ciel. André l'avait remarqué, et c'est à ce moment là qu'il avait grogné un : ''Pour une fois qu'on est tous réunis, tu peux pas arrêter de faire la gueule ?'' Inutile de préciser que ça n'avait fait qu'attiser ma haine pour lui et je l'avais ignoré. Jeanne affichait un air pincé, avec ses yeux écarquillés dont les cils étaient ravagés par des pâtés de mascara. Je me rappelle encore quand elle a tendu vers moi sa main osseuse. J'avais aussitôt retiré la mienne et toute la tablée était alors demeurée silencieuse. Même Alice avait cessé de babiller le générique de Bob l'éponge à tue tête. ''Qu'est-ce qui te prends, Olivier?!'' avait murmuré Jeanne. Sa voix avait longuement résonné dans ma tête avant que je ne m'écris soudainement : ''Rien, fous-moi la paix!''. André avait aussitôt crié ''Ne parle pas ainsi à ta mère!''. J'imagine que ça avait été la phrase de trop. Parce que je m'étais levé en gueulant : ''Vous n'êtes pas mes putains de parents!'' La raclée d'André qui a suivi, je m'y étais pas attendu. J'étais longtemps resté sous le choc avant de m'enfermer dans ma chambre en claquant la porte. En frottant ma joue rouge par la paume de la main, je m'étais regardé dans le miroir un long moment, en inspectant chaque détail de mon visage. Le noir étincelant de mes yeux en amande contrastait avec ma peau claire, mes cils presque inexistants étaient dissimulés par mes paupières, mon front lisse camouflé sous une masse de cheveux noirs en bataille. Tout de moi constituait la preuve que je n'avais rien à faire dans cette famille. J'avais ravalé mes larmes et je m'étais endormi en pensant que quelque part sur cette Terre, ceux qui m'avait apporté ces gènes pensaient peut-être un peu à moi.

C'est lorsqu'il racle sa gorge que je me rappelle de sa présence. Je tourne la tête vers lui, et lui demande tout à coup, en me surprenant moi-même :

- Ça te dit de venir à la fête de David ?

Les Larmes de l'IkebanaWhere stories live. Discover now