3 - Skyline Emrys

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10 Avril 2050
Le lendemain


Le lendemain matin, je pris soin d'éviter tout contact, même visuel, avec mon père en particulier puisque ma mère était déjà partie. Ma solution consista tout simplement à sauter le petit déjeuner. Sans Jessica, de plus, cela n'avait aucun sens de venir s'asseoir à table pour manger dans le silence et la solitude, entre les quatre murs d'une salle à manger froide et impersonnelle. Kyle et Lucas n'étaient pas encore levés puisqu'ils commençaient plus tard.

Ce matin, il n'y avait que mon père et moi pour meubler le silence de cette grande maison vide, et pour ressasser des aspirations pour le futur qui n'avaient jamais tant divergé que ces dernières vingt-quatre heures.

Malgré toutes mes précautions, mon père parvint à m'apostropher tandis que je me glissais discrètement dans le garage. Enfilant mon casque et mes gants à la va-vite pour lui échapper, j'enfourchai ma moto alors que le portail s'ouvrait dans un silence presque absolu, me cédant le passage. Je mis le contact au moment où il entra dans le garage pour me retenir, lui faisant avaler un nuage de particules incolores mais nocives – la nouvelle génération de polluants. Sans compassion aucune, je mis les gaz en ignorant ses cris de colère et quittai la propriété en trombe, sans un regard en arrière.

Depuis quelque temps, venir au lycée était devenue une véritable délivrance. Pourvu que je ne fusse pas chez moi avec mes parents, tout pouvait m'aller, à quelques détails près. Là-bas, j'avais l'illusion presque parfaite de mener une vie normale. Normale à un certain point en tout cas, puisque le lycée que je fréquentais était uniquement composé de l'élite parisienne, des gosses de riches – comme moi – qui affichaient la fortune de leurs parents comme une réussite personnelle. On y trouvait des fils et filles de politiciens, de célébrités du cinéma, de la télévision, de la musique, quelques enfants de riches propriétaires terriens, de grandes entreprises de robotiques, ou encore de gérants de grandes chaînes hôtelières et de restauration. Pour faire simple, les enfants de tous ceux qui croulaient sous l'argent et qui bâtissaient le futur d'une société dont ils légueraient les clés et les conséquences à une génération insouciante et inconsciente : nous.

Dans un sens, faire face à mon quotidien de lycéen était un jeu d'enfant face à ce que je vivais chez moi. Rien d'insurmontable. Chacun d'entre nous était relativement immunisé contre les menaces des professeurs en raison du statut de nos parents dans la société, et nous avions à peu près tous les mêmes centres d'intérêt et points communs.

La journée, pourtant, fut d'une interminable longueur, aujourd'hui. J'avais des cernes sous les yeux qui me descendaient jusqu'aux genoux, la tête lourde et engourdie, et ma concentration était au point mort. Malgré cela, rien n'était pire que la perspective même de retourner chez moi, ce soir, pour affronter mes géniteurs. Car ce soir, ils seraient là, contrairement à Jessica, et l'orage que j'avais consciemment apporté avec moi jusqu'au port la veille, pour l'y laisser, risquait de revenir en ouragan dans ce foyer qui n'en était plus vraiment un à mes yeux.

À la fin des cours, je traversai le parking d'un pas lent, mon casque sous le bras, et restai figé devant ma moto, les yeux dans le vague et le cœur au bord des lèvres. Je ne pouvais pas me résoudre à rentrer chez moi. Pas encore. C'était trop tôt. L'avenir pouvait bien attendre encore un peu, l'univers s'était déjà effondré autour de moi de toute façon.

— Charlie ?

Hélé, je relevai la tête avec l'énergie de ma défaillance. Clément, l'un de mes proches amis et fils d'un ministre, était juste là, en face de moi, planté de l'autre côté de ma moto rutilante, à me fixer de ses grands yeux malicieux. C'était un adolescent ordinaire, très simple et accessible, avec le sens des responsabilités et une insupportable propension à la plaisanterie. Il avait de beaux cheveux blonds qui encadraient un visage fin et visiblement plaisant pour la gent féminine. Mais ce qui marquait le plus, c'était ses yeux bleus, telles des fenêtres sur un lagon des îles du Pacifique.

Skyline EmrysWhere stories live. Discover now