87 - Carpe Diem (partie 2)

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Tandis que les larmes se mettaient à couler de mes yeux, je serrai sa main de toutes mes forces et tombai à genoux à côté d'elle sous le poids de ma malédiction.

— Emma...

Elle me sourit, de ce sourire grand comme le monde dont notre fille avait hérité, et sa main libre caressa tendrement mon visage pour me réconforter, essuyant délicatement mes larmes à mesure qu'elles dévalaient le long de mes joues. Mais le poids de ce que j'étais devenu – un état qui empirait un peu plus chaque année – fut plus fort que ses marques de tendresse dont elle me submergeait pour me faire oublier que, dorénavant, ma mémoire et mes souvenirs étaient mes plus mortels ennemis.

Comme elle devinait ce qui allait suivre, car mes tourments étaient chaque jour les mêmes, elle me fit taire d'un doigt sur mes lèvres avant même que je n'ouvre la bouche.

— Je t'interdis de t'excuser encore une fois.

Je ne dis rien. Ces pertes de mémoire temporaires et occasionnelles étaient de plus en plus fréquentes et prolongées à mesure que je vieillissais. C'était la malédiction que cinq années de servitude sous la coupe de Valhalla avaient jetée sur moi. Emmaline s'en sortait à peine mieux : l'aiguille de l'ID et la sollicitation de son cerveau tout ce temps avaient sérieusement endommagé la zone motrice de son cerveau. Alors malgré toutes les avancées de la médecine et de la technologie, elle serait incapable de marcher à nouveau.

Elle continua d'essuyer mes larmes de ses doigts légers et me sourit encore pour me rassurer.

— Tu te souviens de quel jour nous sommes et de ce que nous sommes venus faire ici, n'est-ce pas ?

Si elle me le demandait, c'était parce qu'elle avait l'habitude de me ramener de loin. De très loin. C'était donc un moyen de s'assurer que j'étais bien là, tout à fait présent, avec elle.

— Nous sommes le 10 Avril 2067, et nous sommes à Tokyo pour la convention annuelle de Skyline Emrys, répondis-je docilement. Nous devions être sur le point de rejoindre les autres quand je me suis... absenté.

Visiblement satisfaite de ma réponse, elle se pencha vers moi et m'embrassa légèrement. Cela m'étonnait toujours de ressentir autant son amour dans la délicatesse de ses moindres gestes, dans des petits riens qui auraient dû perdre un certain sens après être devenus une routine au fil des années. Néanmoins, ce n'en était jamais vraiment une dans notre famille si particulière.

Progressivement rassuré par sa présence et son soutien, je me redressai et reportai mon attention sur la fillette qui était toujours assise sur les genoux d'Emma, silencieuse, suçant son pouce sans perdre une miette de notre échange, les yeux grands ouverts sur ses parents.

Je la pris dans mes bras, de plein gré cette fois.

— Viens par-là, Cassie.

Son vrai nom était Cassiopée. Quant à son frère, il ne se fit pas prier lorsque je lui fis signe et m'accroupis pour être à sa hauteur, afin de le serrer lui aussi contre moi. J'en avais besoin à chacun de mes retours. Il me fallait toujours la présence d'Emma et de mes enfants pour me rassurer, pour que je me sente de nouveau entier, à la maison.

— Loup, tout va bien, mon grand ?

— Je savais que tu reviendrais, comme toujours, m'avoua-t-il en toute franchise, sans montrer trop d'émotions.

C'est alors que je me souvins que l'aîné de mes enfants avait pris la poudre d'escampette un peu plus tôt et disparut dans ce dédale labyrinthique bondé d'individus en tous genres.

Je me mis à le chercher dans la foule, légèrement inquiet :

— Où est Flynn ?

— Il est avec Helios, ne t'en fais pas, m'appris Emma. Ils devraient vite revenir tous les deux. Je voulais... te ramener... avant que nous ne retrouvions les autres. C'est plus difficile quand il y a trop de monde autour de toi, ça te fait peur.

Skyline EmrysWhere stories live. Discover now