I WANNA BE A DRAGON - Cloé #2

3 0 0
                                    

« - Pourquoi t'as fait ça Cloé ? Pourquoi t'as fait ça ?! »

Je sais pas Maza. Je sais pas.

Parce que t'es bête, Cloé. Parce que t'aurais pas dû. Parce que tu l'as fait quand même. Que tu croyais que tu ne te brûlerais pas les ailes. Ou alors que tes ailes à toi. Que Mazarine, elle n'aurait rien, que tu ne lui ferais jamais de mal, pas à elle. Surtout pas elle.

Mais tu t'es plantée Cloé. Tu t'es plantée et là, là, elle pleure, devant toi, et tu ne peux rien y faire. Parce que c'est de ta faute.

Parce que c'est le visage de l'incompréhension qui l'a saisie par les épaules, et parce que Mazarine la regarde avec des yeux qui souffrent, qui se lancent des reproches. Arrête, c'est pas toi la coupable, Maz'. Arrête de te dire que c'est toi qui t'es plantée. Parce que les mains de Mazarine tremblent en la secouant comme un prunier ; parce que les yeux de Mazarine versent tellement de larmes qu'elle n'arrive pas à les ouvrir complètement.

Parce que Mazarine est déçue, bouleversée, choquée, effarée, parce que Mazarine ne pourra plus lui faire confiance, elle le sait. Et parce que cette idée lui noue un nœud de panique et d'effroi dans l'estomac.

Parce que si Mazarine s'en va, elle n'aura plus de raison pour quoi que ce soit, Cloé. Et qu'elle le sent, au creux de ses côtes et de ses pensées embrouillées. Elle n'aurait pas dû, pas dû, pas dû. Elle le savait pourtant, bien sûr, que le meth ne se soigne pas, pas juste comme ça, même aujourd'hui, même avec des cachets pour aider les gens à quitter. Que c'est toujours la drogue la plus destructrice qui existe, et que même une fois, ça suffit pour tout vous foutre en l'air. Que des mecs du groupe se sont barrés à cause de ça ; et qu'elle avait promis, avec le pacte de sang et celui du petit doigt, de ne pas y toucher, sous aucun prétexte, parce qu'elles avaient encore besoin d'être ensemble toutes les deux. Et que maintenant, maintenant...

Mais non. Il avait fallu qu'elle fasse la couillonne. Qu'elle se croie suffisamment cool, suffisamment haut perchée, suffisamment... A l'aise, en maîtrise de tout. Et elle a cédé, pour quatre heures de vol, loin dans les nuages. Elle s'était sentie invincible, inatteignable. Elle aurait pu affronter le monde entier et ne pas se sentir en danger. Elle en avait profité pour achever le travail d'une semaine, pour aller faire des livraisons, d'aller régler leur compte à quelques tocards qu'elle n'avait plus croisé depuis des mois. Et puis elle s'était écrasée, comme ça, brutalement. Elle s'était écroulée sur la marche du perron, incapable de tenir debout, comme un appareil soudain à court de fuel. Combien de temps, exactement ? Elle n'en avait pas la moindre idée. Mais longtemps, en tout cas. Parce que l'après-midi était revenu entre-temps mais que l'odeur avait changé, comme l'atmosphère et comme la façon dont le temps s'écoule.

Elle était au lit et Maza était là. Mais muette. Comme une poupée de bois, aux traits rigides et froids. Elle lui faisait peur. Maza évoluait autour d'elle, ainsi qu'elle le faisait d'ordinaire. Mais un mouvement de pantin ou d'automate l'agitait, la faisait se déplacer dans un silence qui se prolongeait.

Cloé aurait voulu comprendre, mais une nausée spasmodique lui avait secoué l'estomac. Le contrecoup. Ca lui avait déchiré les tripes, et Mazarine qui ne lui accordait toujours pas un gramme d'attention. Ca schlinguait la punition et...

Elle avait dégueulé. Encore et encore. Malade, elle s'était rendue malade. Elle s'était rendue malade, malade, malade, MALADE, MALADE !... Malade. Oh merde. C'est ça, Maz', c'est ça ?

La méthamphétamine. Un suicide en poudre blanche, un suicide tellement conscient.

C'est pas ça que je voulais Maza. Je te jure que c'est pas ça. Je te jure que j'ai besoin de toi et que de toi, et que tu me suffis pour survivre, pour vivre même ! Pars pas Maza, pars pas, pars pas, putain...

C'était le prix à payer, pas vrai ? Le prix fort, le prix terrible. La branle entre ses os et chaque parcelle de son squelette. Elle en gueulait du plus profond de ses boyaux. De ses membres aussi. Elle avait froid. Peur. Mal.

T'as qu'à me laisser couler.

Me laisse pas couler.

S'il te plaît. S'il te plaît. Je ferai plus la conne, j'te promets.

« -C'est Krône, pas vrai ? »

Je l'ai regardée. Figée. Bloquée. Méga-paumée. Paumée de partout. Paumée au milieu de nulle part. J'étais pas perdue. Mais j'étais sûre d'être en train de me perdre moi, inexorablement.

Cloé petite, Cloé mignonne, Cloé poisseuse.

Elle est jolie, hein ? Quand elle voit que tout se met à tomber, à se casser en quatre cents milles morceaux.

Elle peut pas être au courant. Est-ce qu'elle se dit, même... ?

Cloé, t'as foiré ton coup. Cloé, tu vas la voir qui disparait, loin de tes doigts dégradés.

Bordel.

Pas elle, je vous en supplie.

Parce que Krône et elle, c'était pas sérieux. C'était juste agréable. Parce que Krône était sympa, charmeur, fascinant. A portée de main. Parce que voilà, elle n'avait pas d'excuse acceptable, mais que her oh, c'était pas Mazarine pour autant ! C'était pas ça. Krône c'était juste un truc parti en escalade, une escalade qui avait glissé incontrôlablement. Krône, c'était pas fait exprès.

C'était pas fait exprès.

Pourquoi t'as fait ça, Cloé ?

« -On a couché qu'une fois, rien qu'une fois, et... Et je savais que c'était pas bien... et... et... Et ça n'arrivera plus, promis, c'était même pas pour de vrai !... Je lui ai fait l'amour mais j'étais vide, Maz', Y'a rien entre nous... ! »

Je t'ai connue meilleure menteuse que ça.

Et c'est juste pire. Pire que tout. Quand on sait pas bluffer, on se la ferme.

Mazarine recule. Ferme les yeux. C'est plus terrible que n'importe quoi. Elle accuse la balle qui vient d'être tirée.

Pas elle...

Et le crystal ? Tu veux qu'il continue de briller ?

Et le poison de se propager de l'intérieur. C'est corrompu.

Pas Mazarine, pitié. Pas Mazarine.

... « Les Cloé sont toutes mauvaises.»

Les partitions éparsesWhere stories live. Discover now