Chapitre 1 : Evaluer la concurrence

9.9K 362 22
                                    


« Non, tu ne laisseras pas passer ta chance. Pas cette fois. »

Malgré la masse d'hommes costumés me faisant face, l'idée de céder à cette pression ambiante à laquelle je suis soumise ne m'effleure même pas l'esprit. Certes, ici, je suis la seule femme ; et alors ? Raison de plus pour mettre mes atouts féminins en valeur et me démarquer auprès des directeurs.

La salle d'attente est ridiculement petite pour accueillir la trentaine de prétendants au poste de directeur pour la grande agence « Blue Coton ».
Depuis qu'Aaron Eras a décidé de céder son poste pour pouvoir profiter au maximum de sa femme et de ses enfants -chose, soit dit en passant, aux limites de l'imbécilité- les candidats ne cessent d'affluer. Il leur a fallut une seule annonce dans le journal le plus prisé de la ville pour créer l'émeute.
Vous imaginez ? Un poste au sein d'une des plus grandes firmes nationales, et pas un simple travail d'employé... Celui de directeur. Ou directrice dans mon cas. Je crois en mon pouvoir, et malgré les quelques embuches dont mon parcours a été parsemé, j'ai toujours su faire face à l'adversité. Une vraie combattante.

Cessons les bavardages et venons-en au fait : moi, seule représentante de la gente féminine dans cette cage aux lions.
Des lions... Tu parles. Des furets, tout du moins.
Je parcours la pièce des yeux : les murs blancs et lisses reflètent à la perfection la froideur ambiante. Pas un mot ne sort de la bouche de qui que ce soit, et si une mouche avait volé, je pourrais assurer que tout le monde l'aurait entendue.

Entassés dans 15 m², chacun fait de son mieux pour faire comprendre à son voisin qu'il est le meilleur : technique d'intimidation qui a déjà envoyé cinq jeunes arrivant aux toilettes en moins de cinq minutes.
Les vomissements, effets secondaires de la peur.

Nous travaillons dans un monde de chacals, sans pitié, dans lequel je suis arrivée tant bien que mal à me hisser au plus haut point. Et je touche mon rêve du bout des doigts... Seulement du bout cependant, et même mon infaillible combattivité ne peut renier la vérité : des centaines de candidats sont déjà passés, et des centaines passeront après moi. Pourquoi quelqu'un me choisirais à moi, plutôt que quelqu'un d'autre ? J'ai de l'expérience, certes, un très bon dossier aussi et des lettres de recommandations plus qu'excellentes, mais qui me dit que l'asperge à lunettes en face de moi n'a pas le double de mes compétences ?

J'expire profondément, oubliant pour un moment la règle du silence absolu qui règne dans cette pièce, faisant sursauter la personne à ma droite. Mon instinct me pousse à lui décocher un sourire rassurant pour essayer de l'apaiser, mais je me ravise rapidement. Ce serait donner un peu de répit à quelqu'un qui m'aurait certainement laissé crever sans rien dire.
Je dois me ressaisir.

Par pur chance, je suis arrivée à me trouver une place assise dans l'une des rares chaises qui ornent cette pièce. Pur chance ou réveil matinal, c'est du pareil au même. J'ai pris l'habitude de me lever tôt et de me coucher tard ; je n'ai jamais trop aimé dormir, j'ai toujours pensé au sommeil comme à une perte de temps considérable. Six heures de temps en moins par jour : qu'est-ce que j'aurais pu en faire des choses avec six heures supplémentaires !
Je lève les yeux au ciel, un sourire aux lèvres : ça, c'est tout moi ! Capable de me plonger dans mon travail au point d'en vouloir à mon corps de fonctionner normalement et de demander des temps de pause. Mon sourire s'étire davantage.

Je me fige instinctivement lorsque mon regard croise celui d'un de mes concurrents, comme accroché au passage. Grand et bien bâti, il me tape instantanément dans l'œil, détonnant avec le paysage monotone environnant. Sa silhouette harmonieuse n'a rien à envier à celle de tous les autres adversaires, fins et longilignes, sans grand intérêt. Et malgré ma volonté de détourner le regard, je ne peux m'empêche de rester stoïque. Il a quelque chose dans les yeux, une lueur étrange qui me fait frissonner de plaisir.
En y regardant de plus près, cet homme est bien plus qu'harmonieux : il est beau. Incroyablement séduisant. Son teint halé est celui des gens du sud, et ses cheveux noirs de jets contrastent d'une manière magnifique avec sa peau bronzée. Barbe taillée méticuleusement, les cheveux courts sur le côté et légèrement plus long sur le dessus, son apparence lui assure un style à plusieurs facettes.
J'ai un jour lu un article débattant sur les différentes coiffures adoptées par la gente masculine. D'après ce magazine, la coupe d'un homme n'est pas un détail à prendre à la légère : il reflète la personnalité et le style de l'individu. Avec cette coupe-là, je ne saurais pas quoi en déduire à part que je me damnerais pour y plonger mes mains. Je jette un bref coup d'œil comparatif aux personnes alentours : raie au milieu, frange droite tombant sur les yeux ou simplement plaqués en arrière, ces gens-là n'ont rien à voir avec lui. Tantôt travailleur, tantôt badboy, comment la gente féminine pourrait-elle résister ? C'est d'ailleurs le seul moment où je déplore le manque de personnel féminin. Ma réaction est-elle normale ou pure folie ?
Etrangement, il n'a pas de haine dans son regard, ni de rage de vaincre ; j'y distingue plutôt un intérêt étrange et une lueur d'amusement faiblement dissimulée. Son nez droit et ses sourcils noirs encre embellissent la forme carré de son visage et ses yeux en amandes.
Oui, ses yeux. Parlons-en.
Noisettes et profond, ils ne me lâchent pas un instant, rendant la situation presque gênante.
Et le sourire en coin qu'il me lance finit par me faire rougir. Cependant, il fait aussi battre mon cœur à toute allure, me renvoyant directement à la réalité. Comme un électrochoc.

This Crazy Eternal Love (L'amour est une infinie folie #2)Where stories live. Discover now