9. Douloureuse absence

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ISAAC.

«Tu devrais arrêter de t'inquiéter, je t'assure qu'il va revenir très vite...

-Tu ne comprends pas Lyd, ton frère et moi on... »

Je me rembrunis en secouant la tête, incapable d'en dire plus.

« Il n'est pas revenu depuis deux jours et tu t'inquiètes pas ? Demandais-je dans un ton un peu trop glacial.

-Isaac, soupirait-il en feignant d'être contrarié, depuis combien de temps tu n'as pas dormi ? »

Je lui réponds que je n'en ai aucune idée en passant ma main dans mes cheveux, espérant ne pas avoir l'air d'un fou. Ce n'était pas le sujet.

Bon sang, quel idiot. Pourquoi faut-il qu'il disparaisse sans laisser le moindre message, pas même à son frère.

J'aurais sûrement dû lui parler, mais j'en étais incapable. J'étais incapable de rester assis et attendre patiemment qu'il donne des nouvelles. Ne pas savoir où il se trouvait me laisser imaginer des choses atroces. 

Je ne comprenais pas pourquoi c'était aussi perturbant de le voir disparaître. Peut-être à cause du baiser. 

Je décidais de contacter Jake pour le mettre au courant, bien qu'il n'ai ni répondu ni décroché à aucun de mes appels. Je passais par sa maison, pour être certain d'avoir un tête-à-tête avec lui. Je le trouvais allongé dans son lit, un rail de coke sur sa table de chevet en guise de réveil. 

Le problème avec Jake, c'est qu'il ne résout jamais rien mais qu'il pense le faire lorsqu'il utilise ses remontants. Je pris soigneusement la poudre et la mis discrètement dans ma poche de jean, espérant qu'il ne le remarquera pas. 

Il avait les yeux fermés et le nez complètement blanc, à moitié endormi et à moitié réveillé.

«Jake ? C'est Isaac. Il faut que tu sortes un peu, dis-je en tentant de le relever.»

Il bafouillait quelque chose d'incompréhensible et je l'incitais à aller prendre une douche afin de pouvoir entretenir une vraie conversation avec lui. 

Je ne l'avais pas vu dans cet état depuis un bon bout de temps. 

Depuis cette soirée...

«Isaac, articulait-il tandis que je l'amenais dans la salle de bain.»

Je compris vite qu'il avait repris du poil de la bête et le laissais reprendre ses esprits en m'installant sur son lit. Je n'arrivais pas à penser à autre chose qu'à Lochan.

Est-ce qu'il était définitivement parti ? Mais sans prendre ses affaires ?

Jake interrompit mes pensées lorsque je m'apprêtais à imaginer le pire. Il avait l'air un peu moins cadavérique, et surtout plus conscient.

«Qu'est-ce que tu veux ? Finit-il par demander.

-Bonjour à toi aussi, Jake ! 

-Ouais. »

Pas le temps des conversations, visiblement.

«Ecoute, Lochan a disparu depuis quelques jours et je voulais savoir si t'étais au courant de quoi que ce soit.»

J'observais l'air inquiet de Jake, et fut rassuré qu'il ne m'assomme pas de sa mauvaise humeur.

«Il s'est passé quelque chose avant qu'il disparaisse ? Questionna-t-il subitement en s'asseyant sur le lit.»

Ne rougis pas, Isaac.

Surtout, ne rougis pas.

«Non...Enfin, je ne sais pas. J'suis pas au courant...

-Viens avec moi, conclut-il en se levant. »

Nous avons cherché Lochan durant des heures en voiture. Parcourant les quartiers les moins fréquentés, persuadés qu'il se trouvait sûrement par terre la gueule de bois ou pleins de vomis. Il n'était à aucune de ces rues, à aucun de ces endroits. Lyderic s'est enfin inquiété, et nous avons commencé à chercher un peu plus loin, un peu plus longtemps. Une semaine s'était écoulée, et aucune trace de Lochan.

J'ai été dur avec lui, et aveuglé par le fait que ce qu'il ai fait était...malsain, d'un certain sens. Je me riais déjà au nez en imaginant un Isaac qui présentait son nouveau petit ami à sa fabuleuse famille de chrétiens, amoureux d'un seul Jesus et surtout d'une seule Marie.

J'aime les filles. J'ai toujours aimé les filles et même un peu trop.

Je ne comprenais plus rien. Je me sentais comme un idiot attendant l'autorisation de parler pour m'exprimer.

J'avais beau me dire que tout allait bien.

Sans Lochan, j'étais qu'un prisonnier qui n'attendait que d'être libéré.


LYDERIC


On ne m'a jamais pris au sérieux.

Lochan est la tête de la famille, celui sur qui l'on peut se reposer. Le fils intelligent, sur qui on pourra toujours miser et croire. La jalousie n'a jamais été mon fort, au lieu de lui en vouloir je l'ai toujours protégé et j'ai toujours tout fait pour qu'il ne déçoive jamais personne. Il fallait qu'il soit le fils parfait, parce que je ne pouvais pas l'être.

Il fallait qu'il soit ce qu'on attendait de lui, car on n'attendait plus rien de moi désormais.

J'ai toujours joué mon rôle de frère protecteur et présent pour n'importe quelles situations. Je n'ai rien à me reprocher. Je n'ai jamais rien eu à lui reprocher non plus. 

Je n'ai pas vraiment été gâté et remercié pour tous ces efforts, et je ne m'en plains pas. Je me suis toujours promis de ne jamais pleurnicher. Notre père disait : "Les bons vieux gaillards qui veulent réussir doivent toujours tendre la main pour attraper le meilleur vin."

C'est ce que j'ai fait. J'ai attrapé le meilleur vin, Lochan. Mais pas dans l'optique de réussir, mais de le voir s'épanouir. Rien n'est plus digne d'une fierté convaincante qu'un homme qui réussit sous nos yeux. Je n'avais aucune crainte pour lui.

Quand je ne serais plus là, je saurais qu'il n'aura plus besoin de moi.

Depuis que j'ai neuf ans, je sais que je ne vivrais pas longtemps. J'ai un corps trop fragile, je suis quotidiennement malade. 

J'ai fait de ma vie une mission. Je sais que cela peut paraître très patriotique comme phrase, mais ma priorité n'est plus de vivre ma vie car je sais qu'elle est foutue : c'est de rendre meilleure celles des autres.

C'est ainsi que Lochan et moi avons eu notre première vraie dispute : le jour où il a quitté ses études. Ne pas exploiter ses capacités était comme jeter à la poubelle une corbeille de fruits à peine mûrs. Pardonnez la métaphore, je sais parfaitement que je ne suis pas aussi poétique que mon frère. Je sais aussi que tomber dans le monde du trafic n'était pas une de mes missions principales.

Et c'est ainsi que j'échouais à nouveau. Lochan venait de partir, et je n'avais plus aucune raison de rester pour l'élever.

Je n'avais plus aucune raison de rester ici.

Surtout si c'était sans lui.

Mon frère, mon souffle de vie.

HétérochromieWhere stories live. Discover now