11. Tragique et moins douloureux qu'une fièvre

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JAKE.


Lydéric est mort. On ne pouvait pas faire plus mort : il s'était donné la mort en sautant d'un immeuble. On dit qu'il n'a pas souffert lorsque son corps a buté le sol, son cœur avait lâché avant. 

J'ai l'impression qu'on me fait une stupide blague, parce que tout semble ridicule. Leurs réactions forcées, leurs fausses larmes, leurs reniflements qui m'agacent sérieusement.

Lochan vient de refaire surface, je ne pense pas qu'il va s'en remettre. Je l'espère, sincèrement.

Mais perdre quelqu'un qu'on aime est apparemment quelque chose dont on ne peut guérir.

Peut-être que c'est une phrase qui sonne trop solennel pour être vraie.

Je l'ignore. Je n'ai jamais perdu quelqu'un que j'aimais, aussi vaste la définition du mot aimer peut-être.

Lyderic était mon ami. Je ressens tout de même un pincement au coeur, je suppose que c'est bon signe. 

Je ne prends toujours pas sa mort au sérieux, et je dois me traiter de sale con une bonne dizaine de fois pour essayer au moins de l'envisager. 

L'enterrement a lieu dans deux semaines, le corps doit être recomposé d'ici-là. Une chute de cette hauteur n'est pas forcément belle à voir, surtout lors des funérailles où le cercueil est supposé être ouvert. 

Je n'arrive pas à arrêter de trembler, je reprends une dose pour tenter de me calmer.

J'entends la voix d'Aveline depuis ma chambre. Elle crie mon nom, espérant probablement que j'ouvre ma fenêtre. Surement pas pour cette idiote.

Je n'ai même pas été voir Lochan, ni Isaac. 

J'ai honte.

Je n'ai pas la force d'y aller, alors je ne sais pas vraiment ce que j'attends, mais j'attends.

Comme si le frère d'un mort allait me rendre visite pour me demander comment j'allais.

Vraiment, quel idiot j'étais.

Je l'ai toujours été. Je ne mérite aucune pitié, parce que je n'en ai pas moi-même. Je veux simplement rester là et oublier.

Oublier tout le mal que j'ai fait, et oublier tout le mal que je suis en train de faire.

Si j'en fais, parce qu'il faudrait déjà qu'on tienne à quelqu'un comme moi. 

Un imbécile et un incapable.



ISAAC.


Incapable de parler. Vide. Immobile.

C'est tout ce que je vois de Lochan ces trente dernières minutes. Je me creuse la tête pour trouver un truc idiot à dire, un truc un peu simple, un peu rassurant.

J'étais soulagé qu'il soit là, revenu sain et sauf. Je flippais complètement, mais maintenant qu'il est revenu et que la première chose qu'il a appris était la mort de Lyderic, je ne savais pas vraiment comment réagir.

Isaac le clown, l'idiot de service. 

Malheureusement, je n'étais ni l'un ni l'autre dans ces circonstances. 

J'imaginais la douleur qu'il ressentait, parce que je venais de perdre mon ami. J'essayais d'imaginer du moins, parce que rien de la peine qu'il avait ne pouvait être comparable. 

Il s'était assis sur le fauteuil de son salon après l'arrivée des flics, et j'étais là la minute suivante.

Il s'était mis à pleurer silencieusement, se recroquevillant dans le fauteuil tout en cachant son visage avec ses mains. 

Je ne pense même pas qu'il avait vu ma présence. 

Un peu hésitant, je m'approchais. Après trente minutes debout et cloué sur place, mes jambes tremblaient un peu. Je m'assis à ses côtés, il ne bougea pas d'un pouce.

«Lochan ? Tentais-je de l'appeler, découvrant ma voix enrouée. »

Lochan fit disparaître les mains de son visage pour plonger son regard dans le mien. J'avalais difficilement ma salive. La souffrance qui émanait de son visage m'attérais. Je m'apprêtais à lui dire quelque chose, mais il me devança: 

«C'est ma faute, sa voix n'était qu'un murmure. »

Je posais ma main sur la sienne, surpris de mon propre geste mais compte tenu de la situation décida de ne pas y penser. 

« Non, dis-je catégoriquement, tu ne l'as pas poussé de cet étage, Lochan. »

A l'entente de son nom, comme s'il l'avait oublié l'espace d'un instant, il eut l'air songeur. 

«Je suis désolé de t'avoir embrassé, déclara-t-il soudainement. »

J'eus un moment de recul en fronçant les sourcils. Bon, en soi, c'était une bonne manière de dériver de sujet.

«C'est...pas, pas trop grave, répondis-je en me traitant lamentablement d'idiot.»

Il baissa la tête pour regarder ses chaussures. 

Fais quelque chose, Isaac.

Dis quelque chose.

Un truc qui semble cool.

« Amanda est tombée dans les couloirs du lycée la semaine dernière, tout le monde a vu son string. Un string jaune, et ses fesses étaient tellement mises en valeur qu'on aurait dit qu'elles formaient une banane. »

J'entendis son petit rire, et il releva la tête en essuyant les larmes qui avaient coulé pendant qu'il s'était penché. 

« Amanda Valez ? Demanda-t-il en reniflant.

-Oui, dis-je. Cette Amanda Valez. »

Je ne sais pas trop ce qu'il m'a pris, mais je l'ai enlacé. J'ai posé sa tête contre mon torse, et il s'est remis à pleurer. Mon coeur se serrait à chaque sanglot, et je rêvais de remonter le temps pour comprendre pourquoi Lyderic avait fait ça.

Lyderic.

Pourquoi est-ce que t'as abandonné ton propre frère ?




HétérochromieTahanan ng mga kuwento. Tumuklas ngayon