K7

1.

Mon portable vibre à l'autre bout de la pièce, je me lève péniblement de mon lit et vais le chercher. Je décroche après avoir vérifié le nom du destinataire.

- Qu'est ce qui y'a trouduc' ?
- T'as toujours ce vieux truc pour écouter de la musique ?
- Mon Walkman ?
- Ouais ?
- Dans un coin de ma chambre sans doute, pourquoi ?
- Pointe-toi dans dix minutes chez moi, avec ton machin si possible.

Je raccroche et enfile ma veste tout en balayant ma chambre du regard. Je finis par apercevoir mon casque, sous une pile de coussins, branché à mon Walkman où dort encore une vieille cassette. Je le prends et le fourre dans ma poche avant d'enfiler mes chaussures. Je prends mes clés et sors de ma chambre sans prendre la peine de fermer la porte, je descends les escaliers et sors de la maison en hurlant : « Je reviens pour dîner, ne m'attends pas ! » à ma mère (ou plutôt juste pour me convaincre que je lui dis puisque je ne lui laisse jamais le temps de répondre) et claque la porte.

Je n'ai pas loin à aller à vrai dire. Je traverse la route, ouvre la petite grille qui me sépare de la maison et vais sonner. La mère de Mickaël m'accueille avec un sourire radieux et me fait signe de monter à l'étage. Je monte les escaliers quatre à quatre et ne prends pas la peine de toquer pour rentrer dans sa chambre.

Mickaël est un grand gringalet aux cheveux auburn qui lui tombent toujours devant les yeux. Il s'est mis à dos les trois quarts des gens du lycée et ne s'intéresse qu'à des trucs que les autres qualifient de débiles. Quand je suis arrivée l'année dernière, tout le monde m'avait conseillé de ne pas l'approcher si je ne voulais pas moi aussi paraître bizarre aux yeux du monde. Je ne les ai pas écouté (peut-être que j'aurai dû) mais maintenant il est trop tard et je ne peux pas faire marche arrière car Mickaël est mon seul et unique ami dans cette ville pourrie.

- À bah tant a mis du temps ! me dit-il pour simple accueil.
- Pas temps que ça.
- Haha très drôle, non plus sérieusement t'as mis que quatre minutes et trente-huit secondes. Tu t'améliores de jour en jour crevette !
- Ne m'appelle pas comme ça.
- Ah, et pourquoi ça crevette ?
- Rrrahh !
- Tu l'as ?
- De quoi ?
- Aller soit pas vexée !
- Non mais je ne suis pas vexée.
- Alors donne-le-moi.
- Non.
- Eh, aller !
- Non.
- Donne le moi ou j'te chatouille !
- Okay, okay, tiens !
- Merci crevette !
- Redis ça et tu n'en mangeras plus jamais de ta vie !
- Je retire ce que je viens de dire ! C'est encore le même album ? me demande-t-il en retirant la cassette (que j'ai d'ailleurs oublié de retirer moi-même), pourquoi tu changes pas de temps en temps ? T'en a plein en plus, c'est pas lassant au bout d'un moment?
- Ça me va très bien.
- Tu sais que maintenant y'a des milliards de sons en écoute libre en ligne ? Et des trucs récents, pas aussi ancien que ton machin.
- Mon machin comme tu dis risque de t'aider pour je ne sais quoi !
- Exact, d'ailleurs regarde-moi ça !

Il se lève pour aller ramasser une cassette posée sur son bureau et reviens s'asseoir sur son pouf, en face de moi.

- Tu as décidé de te mettre à l'ancienneté ?
- Non, j'ai trouvé ça près de la rivière hier soir.
- Je vois...

Parmi toutes les choses bizarres que fait Mickaël à longueur de journée, il y a ses balades nocturnes. L'année dernière il m'avait convaincu de l'accompagner plusieurs fois, sauf que ça avait eu des répercussions plutôt désagréables sur mes notes (ça, c'est de ma mère) et depuis je me contentais de rester chez lui avant qu'il parte à l'aventure, seul.

- Okay, donc tu m'as fait venir pour écouter de la musique, c'est ça ?
- Pas tout à fait, enfin j'espère ! Attends comment ça marche ce truc, ah c'est bon ! dit-il en pressant Play.

Je suis désolé si ça vous fait de la peine mais je ne peux pas continuer comme ça... commence une voix fébrile dans le Walkman. Mickaël met sur pause l'enregistrement avant de me regarder comme s'il avait trouvé le Graal.

- Waw c'est du génie ça !
- Continu ! je le presse (pressée moi-même de rentrer chez moi pour finir de mater ma série). Il m'écoute et remet la lecture en route.

Plus rien ne me retiens ici à présent, j'ai beaucoup trop mal pour continuer à vivre. Peu importe qui trouve cette cassette, je veux juste que quelqu'un ici entende mon histoire en entier.

- Tu trembles ? me demande Mickaël en mettant de nouveau sur pause.

Je regarde mes mains et m'aperçois que je tremble bel et bien.

- Rrooh aller là, continu ! je l'interromps, commençant à manquer de patience.

Si tu écoutes cet enregistrement, bravo à toi, heureux élu, je ne serais malheureusement plus de ce monde pour te le dire en face alors je le fais maintenant.

- Putain mais c'est quoi ce bordel ! dis-je en me relevant brusquement. Mickaël arrête ça c'est pas drôle !
- Mais Aza je te fais pas une blague, j'ai vraiment trouvé cette cassette près de la rivière. Je te jure, je savais même pas ce que c'était. Assieds-toi s'il te plaît. me dit-il en me prenant le bras. Je m'exécute et il relance la cassette.

La rivière, c'est là que tout a commencé, et c'est là que tout finira...

Mickaël arrête de nouveau la cassette et me regarde avant de dire :

- Tu penses que c'est un signe ?
- Quoi ?
- Que ce soit moi qui ai trouvé cette cassette ?
- J'en sais rien, mais c'est vraiment glauque...
- La rivière, c'est là que tout finira, la rivière, la rivière, il faut qu'on y aille ! déclare-t-il en se levant de son pouf.
- Hors de question !
- Pourquoi ?
- Sauf si c'est une blague, cette fille est sans doute morte à l'heure qu'il est, je refuse d'être témoin de ça !
- Aza... me dit Mickaël en essayant de se convaincre lui-même que c'est une bonne idée.
- Je dois être rentré pour dîner, dis-je en me levant à mon tour et en sortant de sa chambre.
- Yes !

Il me suit et nous sortons en prévenant Suzanne (sa mère) que nous allons faire une ballade. Une fois dans sa voiture, il hurle :

- À nous l'aventure !
- Je te préviens si on trouve quoi que ce soit on se tire !
- Promis !

Voilà comment j'ai trahi la promesse que j'avais faite à ma mère deux mois auparavant en l'espace de quelques minutes.