Chapitre 1

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          Une chouette hurla dans les entrailles de la forêt endormie. Les oiseaux s'étaient tus et seul le silence répondait à un appel jusque là ignoré. La neige saupoudrait le paysage paisible d'une blancheur éclatante. Le soleil d'un rose orangé n'avait pas dépassé la cime des arbres, laissant autour de lui un brouillard léger telle une expiration. Les flocons de la nuit avaient recouvert l'herbe hivernale où un gel mordant s'étendait en toute liberté. Dans une clairière, le tapis épais invitait les créatures vivantes à se perdre dans ses bras. La forêt attendait, avec patience.

          Des craquements dans le lointain réveillèrent ses yeux. Des êtres venaient à elle, dans le froid du matin. Le son de leur pas sur son corps lui livrait leurs attentions. Leur chemin s'arrêta sur un étang gelé aussi dur que la surface d'une pierre.

           Un homme et une femme se tournaient le dos et avancèrent droit devant eux, puis se retournèrent. Un face à face était engagé. Tous deux armés d'un pistolet, ils se mirent en joue, le bras devant eux, se visant l'un et l'autre. Le calme était pesant.

           Des spectatrices aux longues robes épaisses se tenaient en retrait et fermaient les yeux ou se rongeaient les ongles.

           Les deux personnes se regardaient et attendaient que l'une d'entre elles laisse tomber son petit mouchoir blanc sur la neige. La jeune fille sourit d'un rictus éhonté.

           Vêtue d'un pantalon noir bouffant, rentré dans des bottes d'équitation, une fine veste bleu clair aux boutons dorés s'ouvrait sur une chemise immaculée. Autour de son cou, un collier argenté brillait comme la lune. Ses cheveux blonds, presque blancs, étaient relevés en un chignon mal coiffé. Son visage poudré à souhait et aux lèvres d'un rouge cerise contrastait avec ses yeux noisette se moquant de l'homme qu'elle visait, sans pitié. Ce dernier hocha la tête pour faire signe qu'il était prêt. Sa toison d'ébène, détachée, se balançait dans le vent acéré.

           Une femme s'avança et laissa tomber le fameux mouchoir tant attendu. Ce fut la jeune fille qui appuya sur la gâchette la première en faisant mouche. Le bruit de la détonation fissura la paisibilité de la forêt et fit fuir les oiseaux à tire-d'aile. Un corbeau, plus curieux que ses congénères, se percha sur une branche pour mieux observer la scène.

           L'homme tira deux coups même si ses yeux étaient déjà fermés. Une fumée translucide enveloppa les deux êtres dans une couverture à l'odeur de poudre brûlée. Une grande tache sombre apparut sur sa chemise blanche. Il recula de quelques pas, en tenant d'une main sa blessure. En baissant la tête pour mieux la voir, sa bouche s'exprima toute seule ; en s'ouvrant de compréhension. Il se laissa choir sur la glace où ses genoux fendirent légèrement la surface sous son poids. Il jeta un dernier regard sur son ennemi et tomba face contre terre.

           Le bruit des armes fit hurler de terreur les femmes qui se détournèrent du massacre. Celle qui avait abandonné son petit mouchoir se précipita vers l'homme abattu.

— Non ! Alphonse ! Elle vous a tué. Comment est-ce possible ?

Le sang avait teinté l'étang en se faufilant dans les fissures de la glace. Elle souleva sa tête qu'elle appuya contre sa proéminente poitrine. Un léger filet rouge perlait au coin de sa bouche, prêt à couler hors de lui, comme son âme. Sa robe noire gelait sur place à cause des températures exceptionnellement froides. Elle tourna son visage, démunie de sentiments, vers la gagnante.

— Comment as-tu osé tuer l'homme de ma vie ? s'indigna-t-elle.

— C'est lui qui m'a défiée.

— Vipère ! cria la femme en se relevant, mais tomba la figure sur l'étang à cause de son costume.

La glace se brisa à ce moment. Dans l'eau, elle hurla sa folie avant de remonter, les dents serrées.

            A son tour, la petite blonde recula de quelques pas avant de jeter son arme sur le sol. Elle souriait et courut en s'esclaffant pour s'évanouir entre les arbres. Elle avait attaché un cheval à une branche. Elle sauta sur son dos et fila comme l'air. Les sabots de l'équidé soulevaient de puissantes vagues de poudreuse qui s'envolait derrière lui. La femme se détacha les cheveux et éclata d'un rire joyeux, écho au soleil qui disparaissait, encore plus lumineux, dans la blancheur des feuillus.

           Bientôt, elle arriva devant un immense château, entouré d'un lac immobile. Elle s'engagea sur le pont dallé, quittant ainsi le silence perpétuel de la neige. Le bruit produit mis un terme au rêve angélique de l'extérieur. Les portes s'ouvrirent et elle rentra l'équidé aux écuries royales.

LibertinesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant