Chapitre 2

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        En longeant les hauts murs, elle tira à elle un petit hayon en bois complètement délabré. La noirceur du lieu prenait à la gorge, mais elle savait parfaitement où se diriger. Elle montait un escalier en colimaçon exigu où les pierres de marbre étaient loin d'être droites. Plusieurs fois, elle faillit glisser, mais se rattrapait de justesse aux parois glacées. Puis, la lumière revint petit à petit.

           Elle arriva dans les cuisines où l'odeur de la viande fraîchement cuite envahissait avec délice la salle bondée de marmitons de toutes nationalités. Elle passa entre eux sans se faire remarquer tellement le repas de ce soir leur prenait l'esprit.

          Elle poussa une grosse porte et courut dans un escalier au tapis bleu qui menait aux chambres des femmes. Là, elle s'enferma dans une petite pièce qui comportait juste un lit et un meuble. Une fenêtre s'ouvrait sur le large parc du château, méconnaissable sous la neige nouvelle.

           Elle se déshabilla et jeta les vêtements sur sa couchette. Elle passa la tête dans l'entrebâillement et, pieds nus, se pressa sur la pointe des pieds vers la salle d'eau.

           Quand elle y entra, une vraie fourmilière cavalait sans relâche sous ses yeux. Au moins trois domestiques s'occupaient de chaque femme.

— Miss Élisabeth, appela une voix féminine autoritaire. Où étiez-vous partie vous cacher cette fois ? Vous êtes en retard.

— Je n'ai pas de perruque à me mettre. Je gagnerais du temps comparé à toutes les autres, minauda l'interpellée.

— Les perruques constituent l'âme du savoir-vivre, de la culture, de la connaissance, du raffinement. Vous n'avez rien d'une femme de la Renaissance.

— Peut-être parce que je n'en ai point l'envie, Grande Dame, grommela Élisabeth.

La maîtresse du château se détourna d'elle, dégoûtée.

— Mesdemoiselles, ce soir, la vie pourrait changer pour certaines d'entre vous. Votre éducation vous a forgé en des femmes du monde, plein de douceur, mais avec du savoir. Je désire vous voir briller et vous montrer au grand jour à ces ducs et comtes, cherchant tous une compagne à leur image. La ruche s'éveille en bas et elle attend leurs reines. Alors, je veux que vous descendiez dans dix minutes, vêtues de vos plus belles robes, accompagnées de vos manières les plus royales qui soient.

           Après ce discours, les domestiques se pressèrent autour des jeunes femmes pour les préparer.

          Élisabeth sombra d'aise dans une baignoire remplie d'eau chaude. Le long de ses doigts, elle fit glisser le liquide brûlant, sans arrière-pensée. Une camarade prit un seau et le jeta à la figure de la blonde. Aussitôt, elles rirent et l'une d'entre elles entra dans le bain avec Élisabeth.

— De tels agissements ne sont pas dignes de ton rang, commenta cette dernière avec ironie.

— Je viens te sortir de ta morosité, s'esclaffa son amie en l'éclaboussant.

La jeune répondit en l'aspergeant de plus belle, mouillant ainsi la perruque en révélant sa véritable couleur sous la poudre immaculée.

— Te rends-tu compte que certaines d'entre nous vont pouvoir quitter, définitivement, le Donjon des Demoiselles pour aller vivre dans un beau manoir ou même un château ? s'exclama la brune aux reflets roux.

— Un château plutôt, Évelyne. Tous ces convives sont de riches propriétaires qui ont construit des palais dignes de Versailles.

— Tu t'imagines ? Je pourrais enfin être une grande femme du monde.

— J'espère pour toi, murmura Élisabeth, les yeux noyés dans le vague.


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