Chapitre 3 | Partie 1 : Gospel Plow

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"Celui qui pousse la charrue et regarde en arrière, n'est pas fait pour le royaume de Dieu" 

Luc 9 :62

ARLETTE

Louis frappa à la porte de la chambre. Rasé de près, habillé d'une chemise blanche neuve, il semblait irradier de fraîcheur. Arlette le regarda avec scepticisme, seulement à moitié éveillée. Elle avait trop peu dormi pour apprécier l'allure flamboyante de Louis. 

Elle avait passé la nuit à cogiter, se retournant sans cesse dans ses draps en se demandant si elle allait habiter ici, dans le Maine, ou laisser le soin de l'exploitation du terrain à quelqu'un d'autre. Allait-elle faire comme son oncle lui avait indiqué, en préservant la forêt ? 

Le pourrait-elle si elle n'habitait pas sur place ? Arriverait-elle à vivre à nouveau dans la nature, après tant d'années dans les villes ? En voyant les cernes sous les yeux de la jeune femme, le sourire du chauffeur se fit que s'agrandir.

—L'appel de la forêt vous a tenu éveillée ?

Elle se rappela soudainement qui il était, où elle était, et ce qui l'attendait en ce jour. Sa dissipation fit rapidement place à un entrain matinal. Ses yeux s'illuminèrent à la seule mention de la forêt. Oui, c'était bien cette première bouchée de nature qui avait semé le doute en elle. Habiter à Pinewood était devenu une option, puis une tentation.

—Il y a tellement à faire aujourd'hui ! Vous êtes déjà prêt ? Laissez-moi une minute pour me préparer-

Elle allait refermer la porte mais fut stoppée par une pensée. Elle se tourna à nouveau vers lui et demanda inquiète :

« Vous avez déjà pris votre petit déjeuner ? »

Le chauffeur fit non de la tête avant de repartir dans le couloir. Rassurée, elle claqua la porte et sortit de la valise sa jupe brune en velours et un chemisier bordeaux qu'elle serra bien à sa taille.

 Elle allait rencontrer le maire et faire ses premières impressions auprès des habitants de sa nouvelle ville, Richmond. Elle allait voir pour la première fois les personnages de sa nouvelle vie. Elle brossa énergiquement sa tignasse rousse, puis se précipita sur sa valise pour ranger ses affaires. 

La lettre d'Armand lui avait laissé un profond sentiment de devoir. Elle allait continuer là où il s'était arrêté, et se construire par elle-même la vie dont elle rêvait. Elle ouvrit les rideaux et les rayons du soleil traversèrent la pièce. 

C'était la rue principale de Bangor. Les maisons en brique s'alignaient en haie d'honneur menant à l'église, qui se dressait au loin sur la colline. La rue grouillait déjà d'activité. Les voitures allaient et venaient, tandis que les magasins retiraient leurs volets de bois les uns après les autres. La journée s'annonçait radieuse.

Arlette saisit sa valise et descendit au rez-de-chaussée. Louis l'y attendait, debout, peignant ses cheveux coiffés en arrière, sa veste pliée sous le bras. Elle s'arrêta un instant en le voyant de dos et lui trouva quelque chose de profondément juvénile. 

Était-ce son propre frère qu'elle revoyait dans ses attitudes ? La dernière fois qu'elle avait vu son frère se peigner, c'était le jour où il était parti rejoindre le Front, en 1916. Cette pensée lui laissa un goût amer dans la bouche qu'elle avala rapidement. Elle salua le maître d'hôtel et ils sortirent.

—Bien, maintenant nous devons faire deux choses. La première, celle qui vous tient le plus à cœur je crois, c'est de trouver un petit déjeuner qui vous tiendra jusqu'au début d'après-midi. Il est peu probable que le maire nous invite à déjeuner... Ce n'est pas son genre.

PINEWOODOù les histoires vivent. Découvrez maintenant