Chapitre 21 | Partie 1 : 430. Arbacoochee

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« Behold the love, the gen'rous love,

That holy David shows,

Behold his kind compassion move

For his afflicted foes. »


LLOYD

La boîte grinça lorsque l'homme en retira la languette. Une forte odeur de viande en conserve s'en dégagea et envahit toute la pièce. Le deuxième garde qui était posté à la porte en train de regarder le port se retourna en reniflant bruyamment les effluves de corned-beef.

—Putain, comment tu peux avaler ce truc aussi tôt ?

—C'est comme ça tous les matins, avec trois biscuits de mer, ces bons vieux hardtack qui m'ont sauvé la mise plus d'une fois en France et dans la Marine, répondit l'autre avec un accent du Sud.

—Tu vas pas manger des rations de soldat toute ta chienne de vie quand même ? t'écoute pas la radio ? ils disent qu'il faut une alimentation équilibrée avec des fruits et des laitages pour être en bonne santé.

—Mais il n'y a rien de mieux que des protéines qui tiennent au ventre.

—Les médecins disent qu'il faut compter les calories. Regardes, j'ai un paquet de Reese's. J'ai un quart de mes calories journalières avec ça. Pour cinq cents tu peux en avoir un gros.

Il sortit de sa poche une petite boîte de carton orangée sur laquelle était imprimée le logo Reese's en jaune. Il en sortit une petite tartelette de chocolat et croqua dedans pour montrer à son camarade la garniture jaunâtre et grumeleuse.

—Cinq cents ? C'était deux cents la dernière fois que je suis allé chez l'épicier, putain de crise...

—Mais non, ceux à deux cents sont plus petits. Et puis faut voir la garniture. Ceux-là sont au beurre de cacahuète, ça rend mon gamin malade mais moi je les aime bien...

Il croqua dans le chocolat et sentit soudainement une vague de chaleur traverser son corps. Un bruit assourdissant retentit. Il se tourna vers son collègue au fond de la pièce, mais ce dernier avait totalement disparu dans le brasier qui se jetait sur lui. 

L'homme n'eut pas le temps de sentir le goût sucré du beurre de cacahuète sur sa langue. Les flammes le traversèrent alors que les murs se brisaient en mille morceaux. 

L'entrepôt tout entier explosait sous la charge de cinquante kilos de dynamite, et des sept mille litres de whisky, d'alcool de pomme et de vin qui venaient de s'embraser. Le souffle de l'explosion fit voler le camion garé devant le bâtiment fait de briques et de bois. Les flammes poussées par le vent se propagèrent dans toute la zone de débarquement et un voilier amarré à proximité prit feu. 

Il n'y avait encore que quelques pêcheurs au port, mais ils sonnèrent immédiatement l'alerte. Le feu était si intense et nourrit par l'alcool qu'il atteignit le deuxième entrepôt d'où les ouvriers tentaient de s'échapper en se jetant à l'eau. 

Mais avant que l'incendie n'atteigne la deuxième bâtisse, une explosion retentit de l'intérieur et souffla les murs avec deux fois plus de violence que le premier entrepôt. Celui-là contenait une réserve de munition dissimulée dans des caisses en bois en provenance du Canada. 

Les balles explosèrent, volant dans tous les sens. Elles firent sept blessés et deux morts, en plus des quatre hommes qui avaient péri dans l'explosion du premier entrepôt.

Il faudrait attendre vingt-cinq heures pour que l'incendie soit totalement stoppé. Pendant deux jours, de lourdes volutes de fumée noirs s'élèveraient dans le ciel de la ville de Portland. 

PINEWOODWhere stories live. Discover now