Chapitre 17 | Partie 1: Zebra Dun

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ARLETTE

            La jument marchait lourdement, chacun de ses sabots s'enfonçant plus profondément dans la boue. Inquiète, Arlette avançait plus en avant sans cesser de se retourner vers l'animal. Ils étaient trop chargés. 

La pluie traversait les branches couvertes de mousses et inondait le sentier, elle ruisselait dans les sillons de la terre déjà gorgée d'eau, suintait des arbres, et se maintenait en suspension dans l'air, prête à se transformer en brume. Il leur avait fallu plus d'une heure pour accéder aux marécages, et ils peinaient maintenant à monter la pente menant au lac. Peut-être aurait-elle dû attendre que la météo soit meilleure pour son expédition. 

Elle n'arrivait pas à réfléchir et à éviter les obstacles à la fois. Elle était plongée dans le tourment, mais elle ne pouvait s'arrêter pour penser. L'eau coulait sur ses joues et son nez glacé. Il fallait absolument qu'elle passe le lac avant que les hommes soient rentrés, pour être certaine qu'ils ne la trouveraient pas. Cela aurait pu être excitant, mais elle était si troublée qu'elle n'arrivait pas à y voir un quelconque intérêt. 

Depuis qu'elle était entrée dans les bois, elle avait été assaillie par la solitude. Le silence de la Nature avait rapidement invité les voix intérieures qui avaient pris possession de son esprit, comme des visiteurs qui avaient trop longtemps attendu au pas de la porte.

Elle pensait à cet homme sur la photo qu'elle avait trouvé dans la boîte d'Armand. Elle ignorait tout de lui, elle ne savait même pas s'il était réellement son cousin. Elle ne pouvait que l'attendre. Mais combien de temps ? Des mois ? Des années ? Peut-être que la réponse se trouvait dans la lettre de son oncle qu'elle ne trouvait pas. Cette satanée lettre... Peut-être avait-elle déjà été emportée par des pillards ? Ou peut-être était-elle seulement indigne des Mangel, incapable de résoudre une simple énigme... 

Elle avait passé ses nuits à essayer de se rappeler, de se souvenir de son enfance et des moments les plus simples de sa vie en France, mais elle avait découvert avec effroi qu'elle avait déjà commencé à oublier cette partie de sa vie. 

Ces souvenirs ne représentaient plus maintenant dans son esprit qu'un laps de temps condensé en une seule unité, comme si elle les avait compressés pour les mettre dans une toute petite boîte. Ils étaient enfermés à l'intérieur, entremêlés comme de vieux lacets, sans queue ni tête, déliés du fil du temps. Et sur cette petite boîte n'était même pas mis un véritable nom, seulement une référence au présent, une petite étiquette de papier sur laquelle était écrit : « avant Pinewood ». Cette image lui donnait des insomnies. Toutes les horreurs, mais aussi tout l'amour qu'elle avait vécu ces dernières années pouvaient-ils être condensés, résumés, oubliés ?

Elle faillit glisser sur une racine et se rattrapa à un tronc d'arbre. Le molosse noir revint sur ses pas pour s'assurer qu'elle allait bien et huma son visage alors qu'elle se redressait. Elle ne faisait attention à rien. C'était pire que la migraine, pire que la plaie qu'elle avait eue au bras. Elle avait l'impression de voir flou autour d'elle, alors que le sentier utilisé par les bûcherons et les bootleggers était clairement tracé.

Il y avait eu trop de choses, trop d'événements qui s'étaient produits en même temps. Elle serrait les dents sans s'en rendre compte et avançait les sourcils froncés. Lorsqu'elle essaya de se concentrer sur ses souvenirs plus récents, un chaos d'informations et de noms se forma autour d'elle. L'auberge, Lloyd, Fowler, les Richter, les Irlandais, Louis. Cette mine de pechblende..

 Elle regarda les bois qui l'entouraient. N'était-elle pas loin de tout cela ? La maison de Pinewood ne s'éloignait-elle pas au fur-et-à-mesure qu'elle avançait dans la forêt ? Et pourtant elle y était plus que jamais. Les tourments venaient de l'intérieur, des peurs et des doutes qu'elle nourrissait au fond d'elle. 

PINEWOODTempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang