Chapitre 25 | Partie 4: Gallows Pole

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HENRY

Les deux aînés sortirent avec l'impression désagréable de laisser leurs cadets avec un loup en laisse dans la maison. Ils savaient combien Walter était imprévisible et dangereux. 

Ils prirent des fusils de la grange et montèrent dans la voiture. Les questions fusèrent dans leurs esprits alors qu'ils prenaient la route enneigée.

—Comment Walter avait-il survécu ? Pourquoi n'était-il pas revenu plus tôt pour se venger? demanda Devin en ajustant son bonnet contre la cicatrice qui montait sur son crâne.

—Il a dû entendre parler du pouvoir qu'on a pris à Portland. Faut pas l'écouter Devin, tu sais bien qu'il est bon pour ça. Il s'est jamais vengé avant parce que c'est seulement maintenant qu'on l'a payé pour le faire. Il joue à l'agent de Dieu, mais il est seulement là pour le fric. C'est pour ça qu'il trainait autour de Pinewood et pas d'ici... C'est certainement l'organisation du cousin de la Française qui est derrière tout ça...

—Comment t'as deviné tout ça ?

—Je connais bien Walter, c'est juste un chien fou. Il a toujours aimé faire l'intéressant.

— Moi j'ai arrêté de le connaître après la guerre, souffla Devin en baissant la tête.

Le retour de leur frère semblait remuer en lui de vieilles cicatrices.

—Je t'ai jamais demandé ce qu'il lui était arrivé... Et ce qui t'étais arrivé, lança Henry en gardant les yeux rivés sur la route.

Il le regarda un instant.

—T'en as parlé avec Arlette, c'est ça ? Cette sacrée Française...

—Il a rencontré des gens là-bas ?

—Je ne sais pas. Je ne pense pas qu'il ait été influencé. Il a profité de la guerre pour laisser libre cours à ses pulsions. Il a fait tout ce qui lui était permis de faire. Tout ce qu'il a fait par la suite à son retour, il l'avait expérimenté en France.

—Pourquoi tu n'as rien dit à l'époque ?

Il avait l'impression que cette conversation était inutile. Il aurait dû l'avoir des années auparavant, il aurait dû l'avoir tous les jours qu'il avait passé avec son frère... Mais il était maintenant nécessaire qu'ils l'aient.

—Qu'est-ce que tu voulais que je dise quand je suis rentré ? J'ai cessé d'être un frère, un être humain, à ses yeux parce que je ne pouvais plus parler au début. Il pensait que je serai toujours comme ça, et que je n'en parlerai jamais, murmura Devin d'une voix de plus en plus faible. Il dût reprendre une grande inspiration pour continuer :

« Mais de toute façon, quand j'ai pu en parler, il avait déjà fait tellement pire... Ça n'intéressait plus personne les histoires de la guerre qui finissaient mal... Et maintenant il est de retour... Pour nous tuer, pour tout détruire alors que ça allait mieux... Qu'est-ce qu'on va faire Henry ?

Henry ne répondit pas. Il était trop anxieux pour pouvoir mettre au point un plan quelconque. Walter était passé à Pinewood. Tout ce qu'il voulait savoir, c'était s'il avait fait du mal à Arlette, si elle était encore en vie.

Il accéléra pour passer sur la route nord-sud lorsque soudainement un homme se plaça en plein milieu de la chaussée en faisant de grands gestes en face d'eux.

Kenneth.

Il sortait des bois avec son fusil et ses raquettes de neige. Les frères Richter stoppèrent la voiture et il courut à leur rencontre.

—N'allez pas à Pinewood, il y a cinq voitures de flics là-bas. Ils sont en train d'arrêter tout le monde, ils ont même pris les enfants !

—Putain les enfoirés, ils vont passer à la ferme et libérer Walter, s'écria Devin de sa voix qui se perdait en souffle rauque.

Henry poussa un juron. Il lui semblait bien que le revenant s'était défendu plutôt mollement. Se faire capturer faisait partie de son plan. La police allait venir chez eux aussi. Elle était de mèche avec lui.

—Qui ? Walter ? Walter Richter ? demanda Kenneth en dévisageant les deux frères l'un après l'autre.

—Tu sais qui c'est ?

—C'est la raison pour laquelle j'ai toujours dit à Arlette que vous n'étiez qu'une bande de vauriens. Tout le monde connait Walter Richter dans le milieu.

—Merci Kenneth, c'est toujours bien de sentir que la famille est appréciée, grinça Devin.

—Et Arlette ? demanda Henry sans trouver la patience pour écouter ses sarcasmes.

—J'ai vu du sang près de l'auberge. Je revenais de la forêt quand-

Henry écarquilla les yeux et sortit brusquement pour l'attraper. Il le colla au capot de la voiture.

—Où est-ce qu'elle est ?

Kenneth tenta de s'écarter et lui saisit les mains pour qu'il le lâche.

—Je suis avec vous putain ! J'allais y venir... Il y a des traces de chevaux qui montent vers le lac. S'ils ont fui quelque part c'est certainement là-bas. Mais je ne sais pas si elle est avec eux. Je ne sais pas si les flics l'ont arrêtée, si elle est... encore en vie.

Henry le lâcha brutalement et se tourna vers la route qui menait à Pinewood. Peut-être qu'elle était là. Peut-être pas. Il sentait qu'il perdait peu à peu son sang-froid. Il n'arrivait plus à raisonner logiquement. Il avait seulement envie de foncer là-bas.

Devin le regardait en attendant ses ordres. Kenneth venait de s'accroupir contre la roue pour vérifier le nombre de balles qui lui restaient. Il fallait qu'il prenne une décision, maintenant. Betty, Danny et les autres étaient aussi en danger maintenant.

—Je sais pas où est Arlette. Mais je sais où vont les cavaliers, et si c'est eux qui sont à l'origine de tout ça, alors il faut les arrêter, déclara Kenneth en levant la tête, toujours accroupi.

—J'en ai rien à foutre de la vengeance, répondit Henry en passant une main sur son front. Je veux retrouver Arlette.

—Et après ? Ils vont arrêter tout le monde et nous tuer. Il faut qu'on s'en prenne à ceux qui restent. Et on peut pas s'attaquer aux flics qui sont en train de fouiller Pinewood.

—Il faudrait qu'on trouve leur chef, ajouta Devin.

—Ils fouillent Pinewood ? Putain... souffla Henry en baissant la tête.

La police allait arrêter tout le monde, pour communisme, contrebande, qu'importe. Ils les auraient tous et personne ne pourrait se défendre. Et pendant ce temps, les cavaliers se serraient débarrassés d'Arlette et de toutes les personnes vivantes pouvant attester de son innocence...

Il réalisa soudainement que si Walter était venu seul à la ferme c'était pour se laisser attraper et se faire passer pour une victime. Henry était devenu un suspect en fuite... L'étau se resserrait. Il sentit soudainement une main se poser sur son épaule. Kenneth le fixait de ses yeux bleus électriques.

—Henry, je te demande de me faire confiance. Allons suivre les cavaliers pour les arrêter. Les flics ne peuvent pas s'en prendre aux nôtres directement, mais eux le peuvent. Je suis sûr qu'Arlette est encore en vie et qu'elle n'est pas avec la police. Ils n'auraient pas fait tout ce chemin et mobilisé autant de monde s'il avait suffi de la tuer chez elle ou de l'arrêter.

—Tu as raison, dit-il en hochant la tête, encore perdu dans ses craintes.

—Dépêchons-nous alors. Il faut prendre la route vers le nord.

Ils remontèrent à bord et changèrent de cap.

PINEWOODWhere stories live. Discover now