VII (modifié le 23.07.21)

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— Donne-moi cette lettre.

Hansi avait posé une main sur son épaule. Ils étaient seuls dans le couloir qui menait aux wagons du centre. Les habitations, de simples boîtes de métal empilées les unes sur les autres et construites en hauteur contre les parois du train, surplombaient l'étroit passage. Le wagon était désert, mais l'allée était illuminée par de puissants néons fixés au plafond.

Les deux amis avaient traversé une dizaine de wagons pour accéder au centre d'Aeternum, avant de s'immobiliser. Dans le dos de la jeune femme, Chrom reconnut son petit appartement. Il était étriqué, très mal agencé, et les habitations qui se situaient au-dessus le privaient constamment de lumière. Un cercueil fait de métal et de silence.

— Donne-moi cette lettre, Chrom, répéta Hansi, son regard brun le surveillant derrière le verre de ses lunettes.

Paralysé par ces quelques mots, Chrom l'observa un instant, avant de se libérer de son emprise.

Depuis qu'il avait reçu cette lettre, accédant à la requête d'Hansi et l'invitant participer à la prochaine excursion à l'Extérieur, Chrom n'arrivait plus à la regarder dans les yeux. Cela faisait une semaine qu'il se répétait en boucle le petit discours qu'il avait préparé dans l'espoir de la convaincre d'abandonner. Hansi était douée pour la sidérurgie. Le maître forgeron pourrait plaider en sa faveur et la prendre comme apprentie dans son atelier. Elle deviendrait à son tour institutrice et resterait à Aeternum, en sécurité, près de sa mère... Et près de lui.

Il fallait cependant qu'elle accepte de fermer les yeux, d'oublier ses rêves de liberté et ces murs qui l'oppressaient. Alors qu'il baissait la tête, intimidé, Chrom réalisa à quel point il s'était trompé.

Hansi ne renoncerait pas.

— Non, finit-il par lâcher.

— Traître !

La fureur faisait vibrer sa voix. Chrom se pinça l'arête du nez, agacé. Hansi était une enfant qui pensait pouvoir changer le monde à coup de « peut-être ». Elle ne survivrait pas à l'Extérieur. Comme Claes. Comme toutes celles et tous ceux qui s'étaient fait broyer par l'impitoyable réalité. Chrom serra les dents. Il ne supporterait pas d'entendre les cris désespérés de sa mère lorsque l'escouade rentrerait avec un morceau de son cadavre dans les bras.

Il ne supporterait pas de la perdre.

Refoulant les larmes qui lui brûlaient les yeux, Chrom n'osait plus la regarder. Il avait vu tant de Travailleurs rentrer, vides, les bras ballants et le cœur hanté par ce qu'ils avaient vécu. Il avait assisté tant de fois au spectacle macabre de ces mères, de ces pères, qui se précipitaient autour des scientifiques pour leur demander où étaient leurs enfants. Il avait observé tant de fois, ces hommes si fiers et si froids, confier à ces familles déchirées l'équipement taché de sang des disparus. Chrom ne pouvait oublier le jour où un scientifique inconnu lui avait tendu les masques à gaz de ses parents. Il ne leur pardonnerait jamais de l'avoir ainsi abandonné pour un rêve qui n'était même pas le sien.

Hansi ne devait pas partir. Ou bien il ne s'en remettrait jamais.

— Hansi, je..., commença-t-il.

— Tais-toi ! Tu es lâche. Tellement lâche que tu pourrais l'être pour deux.

— Hansi !

Chrom avait haussé le ton malgré lui. Elle voulait lui faire mal, le mettre en colère. Elle voulait qu'il crie, qu'il l'insulte, qu'il la déteste et n'essaie pas de la retenir. Il le savait, mais il n'avait pas la force de la haïr. Ni le courage de la voir disparaître sans rien dire.

Deus ex Machina [EN PAUSE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant