Deus ex Machina [EN PAUSE]

XV (modifier le 07.11)

Le Camp était un immense chantier à ciel ouvert.

Le bruit des machines, mêlé à celui du métal en fusion et aux respirations haletantes des travailleurs, perçait le silence de l'Extérieur. Entièrement enveloppés dans leur équipement de Travailleur, les mines épuisées des soldats étaient dissimulées par leur masque à gaz, leurs lunettes de protection, ainsi que par les épais casques de graphènes qui leur faisaient courber l'échine. Ils n'étaient qu'un seul et même visage. Perdus au beau milieu d'un désert de cendres, inhabitable et hostile, ils étaient les artisans du monde.

La face blafarde et affligée de l'humanité.

Une dizaine de camions blindés avait été alignée près des hauts murs qui encerclaient le Camp. Les Travailleurs chargeaient les véhicules de rails, d'armes et d'outils sous le regard méprisant d'un Caporal zélé. Au centre de l'enceinte, des hommes et des femmes de tout âge s'affairaient autour d'une immense voie ferrée. Certains, avec des gestes las mais précis, délayaient le chemin à grands coups de bêches, tandis que d'autres ramassaient les gravats à la pelle, les jetant dans d'immenses brouettes. Les soudeurs, une visière rabaissée par-dessus les verres en plastiques de leurs lunettes, s'appliquaient à fortifier les rails. Au loin, on pouvait entendre le vacarme des scies électriques qui rompaient le métal, rythmant cette symphonie industrielle avec une froide régularité.

Invisible au milieu de ce bal mécanique, Hansi observait attentivement le Camp et ses Travailleurs. Il y avait tant de choses à voir, à entendre. Tant de vies se mouvaient tout autour d'elle, tant de destins ignorés et pourtant indispensables à la survie de l'humanité... Jetant des regards curieux de toutes parts, la jeune femme espérait apercevoir l'imposante silhouette de son père. Mais, plongé dans cette foule anonyme, il était comme tous ces autres aux mêmes regards fuyants.

Poussant un soupir déçu, Hansi se détourna du chantier pour suivre les nouvelles recrues. Lev avait rejoint son Caporal-chef, un homme large d'épaule et au regard pétillant, dont la peau sombre se confondait avec le tissu de son masque à gaz. Le brassard jaune qu'il portait à la ceinture indiquait son grade. Ils échangèrent quelques mots par le biais d'un canal de communication privé, puis les deux hommes se séparèrent. Et, alors que le Major s'éloignait d'un pas vif en direction des énormes conteneurs blindés qui s'élevaient le long des murs d'enceinte, le Caporal-chef s'arrêta et se retourna pour faire face aux novices, tremblants d'angoisse ou d'impatience.

Posant son regard d'ébène sur les jeunes recrues, il attendit l'arrivée de trois autres soldats, qui vinrent se poster à ses côtés et dont le brassard rouge à la ceinture désignait leur statut de Caporaux, avant de lancer d'une voix enjouée :

— Bienvenue au Camp ! Je suis Luis, Caporal-chef des Explorateurs, section Découverte. Voici Nesma, Devhir et Lisbeth, caporaux de cette même section.

Nesma, un homme aux traits sévères et à l'allure agile fit un signe de la tête, tandis que son collègue se contenta de les dévisager. Les bras croisés sur sa poitrine, le menton levé, Lisbeth esquissa sous son masque un sourire déterminé qui lui fit plisser les yeux avant de reporter son attention sur le Caporal-chef qui poursuivait :

— Aujourd'hui, vous êtes tous des Explorateurs. Cette semaine, vous participerez à une mission d'essai, qui nous permettra de juger vos compétences et de tester votre motivation. Au terme de ces courtes expéditions, certains d'entre vous rejoindront les escouades des Travailleurs. Cela vaut pour tout le monde, sauf pour notre seule et unique volontaire. 

Luis adressa un regard appuyé à Hansi, qui fit de son mieux pour ne pas détourner les yeux. A ses côtés, les soldats s'agitèrent. Leurs murmures, surpris ou désapprobateurs, firent grésiller le canal de communication. Le Caporal-chef les fit taire en ajoutant, d'une voix chargée de respect :