XIV (modifié le 19.08.21)

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Il lui en voulait.

Il l'avait laissée partir, mais il lui en voulait. Assit à son bureau, les épaules courbées par la fatigue, Chrom faisait danser son stylo entre ses doigts. Bercé par le décompte incessant de la vieille horloge accrochée près de la porte, Chrom n'arrivait pas à croire qu'elle était partie.

Hansi était partie.

Poussant un soupir désespéré, le jeune homme fit glisser ses coudes sur la surface lisse du bureau et s'effondra sans un mot. Il posa doucement sa tête sur le plateau glacé et ferma les yeux. Il avait l'impression de l'entendre rire, là, juste derrière lui. Noyé par les échos éphémères de sa présence passée, Chrom était resté immobile pendant des heures, rongé par la crainte d'oublier le son de sa voix s'il esquissait un geste, s'il se retournait, s'il se résignait à cette absence.

Chrom serra les dents. Ses paupières closes débordaient de larmes qu'il ne parvenait pas à retenir. Il avait l'impression d'être dépossédé de sa joie, de son cœur, de sa propre existence. Ses parents avaient disparu une nuit comme celle-là, alors qu'il était seul dans une chambre trop froide, trop vide. Chassant ses souvenirs, il se surprit à murmurer une prière.

Faites qu'Hansi revienne, qu'elle le prenne dans ses bras et qu'elle fasse disparaître ce sentiment d'abandon qui le ronge de l'intérieur.

Chrom priait. Sans même savoir à qui demander de l'aide, il priait pour ne plus jamais être celui qui reste. Il avait toujours eu le rôle de celui qui attend. Celui qui se fond dans l'absence et qui compte les jours. Celui qui se blotti dans l'ombre, tandis que ceux qu'il aime se jettent dans la lumière et se brûlent les ailes. Chrom retient un hurlement de rage.

Il ferait en sorte que cela change.

Avec un nouveau soupir, Chrom se redressa et quitta son fauteuil pour aller chercher un livre. Il devait penser à autre chose ou son infinie patience finirait par le détruire. Laissant son regard accablé valser sur la petit étagère qui ornait le mur métallique de sa chambre, il choisit un roman au hasard, dont la tranche verte laissa un peu de couleur sur ses doigts. Chrom jeta un regard au titre de l'ouvrage et sentit son cœur le démanger.

C'était un cadeau pour Hansi. Un vieux bouquin aux pages jaunies et cornées qui relatait la chute des Vieilles Nations. Juste avant la catastrophe nucléaire qui ravagea la Terre. Juste avant l'enfer.

Chrom étouffa un sanglot et lâcha brusquement le livre qui percuta le sol en un bruit sourd. Les deux mains pressées contre son visage blafard, il fit deux pas en arrière et s'agenouilla, avant que ses jambes tremblantes ne se dérobent sous son poids.

Et si Hansi ne revenait pas ? Qu'adviendrait-il de lui ? Si elle venait à perdre la vie loin d'Aeternum, pourrait-il supporter de ne jamais la revoir ? Le corps secoué par les pleurs, Chrom passa ses doigts sur son front et, traversé par la colère, commença à s'arracher les cheveux.

Il avait été idiot.

Il aurait dû lui dire qu'il était perdu sans elle, sans ses petites manies. Il aurait dû lui dire qu'il ne pouvait tout simplement pas exister sans son regard, sans son sourire émerveillé. Qu'il avait besoin d'elle.

Le silence pesait de plus en plus sur ses blessures, les pénétrant lentement. Les yeux écarquillés, Chrom s'était allongé par terre, concentrant toute son attention sur les vibrations du train. Son monde était toujours debout. Son foyer était vivant et poursuivait son immuable course. Les deux mains collées contre son torse, il sentait son cœur battre au rythme de la pendule.

Il avait le temps.

En un sursaut, Chrom se redressa. Le temps l'aiderait. Le temps soignerait ses blessures. Le temps ferait revenir Hansi près de lui.

Deus ex Machina [EN PAUSE]Where stories live. Discover now