Chapitre 1 - Déconnecté

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Je lève les yeux vers le ciel. À la météo, ils annonçaient un orage en raison de la canicule qui sévit depuis quelques jours. Mais, depuis ce matin, aucun nuage en vue. J'imagine que ce sera pour plus tard dans la semaine...

Je continue mon ascension dans la montagne, tâchant de prêter attention aux détails de la nature me rappelant mon premier passage ici, avec mon père. Depuis cette journée, je suis revenu bien plus de fois qu'on ne pourrait le compter. Mais aujourd'hui, c'est différent. Aujourd'hui, c'est mon anniversaire...

Je passe devant un grand tronc d'arbre couché au sol, entouré de petites plantes vertes et bien vivantes. Sur ce tronc, mon père et moi avions déjeuné. Je m'arrête quelques secondes et l'observe. Il n'est pas en plus mauvais état que la dernière fois où je l'ai vu. Près du sentier principal, il doit certainement servir de banc de fortune à bien des marcheurs fatigués. Dans l'écorce, plusieurs marques de couteau suisse sont gravées : des cœurs, des lettres et des croix de toutes sortes.

Après une gorgée d'eau prise de ma gourde, je me remets en marche. Tout à coup, un violent coup de tonnerre résonne au-dessus de la montagne. Je sursaute, me baisse et mets par réflexe mes bras au-dessus de ma tête. Je regarde le ciel : il est toujours aussi bleu et clair que tout à l'heure, à mon départ du stationnement. Pendant une seconde, je crois avoir rêvé ce bruit semblant déchirer le ciel. Mais un second gronde immédiatement suite à cette pensée. Je ferais mieux de me dépêcher si je veux avoir le temps d'atteindre le sommet de la montagne et de redescendre avant l'orage qui finalement, j'ai l'impression, éclatera bien aujourd'hui.

Je tiens vraiment à me rendre au sommet de Cepheus aujourd'hui. Cet endroit, en plus d'être un observatoire magnifique sur le lac, est significatif pour moi... C'est là que j'avais répandu les cendres de mon père, près de deux ans plus tôt, après ses funérailles. C'était en quelque sorte notre endroit, même si nous n'y avions passé qu'une seule journée. Ici, je me sens bien, paisible... déconnecté.

En accélérant le pas, je reprends la marche. Je suis obligé, à quelques minutes seulement du sommet, de passer par un sentier inconnu en raison d'un barrage mis en place par les gardes forestiers sur mon sentier habituel. Cela arrive régulièrement que les agents bloquent certains passages. Les précipitations sur la montagne étant anormalement puissantes, cela provoque de grands sillons dans la terre, rendant impraticables certains sentiers à risques.

Je suis les indications afin d'arriver au bon endroit. J'accélère encore le rythme, ma marche se transformant plutôt en un léger jogging. J'arrive enfin au sommet, désert. Je suis apparemment le seul idiot à ne pas avoir écouté les avertissements des annonceurs météorologiques.

Je m'avance vers le flanc opposé, celui donnant sur le lac. Le vent s'étant levé, autant sur la montagne qu'en bas, façonne de petites vagues sur l'eau auparavant si calme. Je reste quelques minutes à fixer le lac, le ciel au-dessus de moi se grisant de gros nuages prêts à se vider sur ma tête. Je soupire.

- J'aurais voulu rester plus longtemps avec toi papa, mais la météo n'est pas de notre côté aujourd'hui...

Je sens mon cœur se serrer légèrement, comme à chaque fois que je m'adresse à mon père, ici, dans le vide. Je sais que c'est idiot de faire ça, mais je ne peux m'en empêcher. C'est une manière pour moi de le garder vivant et présent à mes côtés, même s'il n'y est pas réellement.

- Je t'aime papa...

Je force un sourire vers le ciel, jette un dernier regard au lac, puis fais demi-tour. Il est temps pour moi de redescendre avant que l'orage ne se déclare.

Aussitôt me suis-je retourné qu'une goutte d'eau tombe sur ma joue, puis une autre sur mon bras. La pluie commence déjà. Je vais devoir descendre rapidement. La pluie, à la limite, ça va. Mais être dans une forêt en plein orage n'est jamais une bonne idée.

Je me mets au pas de course, mais adapte rapidement ma vitesse, ne voulant pas trébucher sur une racine ou un sillon dans la terre du sentier. Je ne fais pas très attention aux directions que je prends, me concentrant plutôt à trouver le chemin le plus rapide menant au stationnement au bas de la montagne. De ce fait, j'emprunte des sentiers par lesquels je ne suis jamais passé, et je me dis à moi-même que je ne connais absolument pas cette montagne aussi bien que je l'aurais pensé, bien que je vienne ici depuis maintenant deux ans. Note à moi-même : explorer Cepheus plus largement lors de mes prochaines randonnées.

Voilà bien quinze minutes que je sillonne les sentiers et je sais que je n'en suis qu'à la moitié, une descente me prenant environ une demi-heure au pas de course normal. Pour l'avoir déjà fait, je sais.

Je quitte le sentier principal pour une route de terre, servant probablement aux services d'urgence et aux agents forestiers. Ou plutôt, elle devait servir à ça. Je constate, à chacun de mes pas, son piètre état. De nombreux nids-de-poules garnissent le sol, alors que des bords de route ont été emportés par les précipitations passées. Ce chemin doit être l'ancien, ayant été abandonné et probablement barré aux extrémités à la construction du nouveau, beaucoup plus pratique et sécuritaire.

Devant moi se dessine un pont servant à combler le trou formé par une coupure drastique dans le flanc de la montagne. Le pont, en comparaison avec la route, semble en bon état. Je ralentis ma course, ne voulant pas glisser sur la belle pierre mouillée servant de pavé. Et puis, étant déjà complètement trempé, je ne me préoccupe plus de la forte pluie s'écrasant toujours sur moi.

À mon passage sur le pont, je crois entendre des pleurs. Je m'arrête en plein milieu, voulant vérifier que ce n'est pas mon cerveau qui me joue des tours. Je tends l'oreille bien que le vent et la pluie m'empêchent d'entendre clairement.

J'entends de nouveau un sanglot et cette fois, je suis certain qu'il est réel.

- Il y a quelqu'un ? dis-je d'une voix assez forte.

Pas de réponse. Toutefois, les sanglots sont toujours là. J'essaie donc de m'approcher de leur provenance. Toute mon attention est portée sur les sons m'entourant. Je m'approche de la source des pleurs et me rends compte qu'ils viennent d'en bas. En effet, ils semblent provenir du bas du pont. Je me penche au-dessus de la garde de béton, mais je ne vois personne en bas.

D'une voix plus forte que tout à l'heure, je repose la question. Toujours aucune réponse. Cependant, les sanglots cessent, comme si la personne avait été effrayée par ma présence.

C'est alors que je remarque une embouchure sous la construction de pierre formant le pont. Et si la personne s'y était abritée ou qu'elle était perdue ?

Je me rends donc au bout du pont, puis descends le flanc de la montagne en m'accrochant aux arbres sur mon passage, prenant garde à ne pas tomber ou glisser. J'arrive au sol plat en bas du pont et je m'approche de cette fameuse ouverture. C'est un tunnel.

Avec le si peu de lumière offerte par le ciel gris, le tunnel est complètement plongé dans l'obscurité. Mes épaules s'affaissent. Depuis l'accident avec mon père, depuis ma presque noyade, j'ai une peur paralysante du noir. Je ne supporte pas de me retrouver dans un endroit complètement noir.

Je ne peux donc pas m'avancer dans ce tunnel.

POLARIS [Skam France]Where stories live. Discover now