Chapitre 5 - Pas peur

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Étendu dans mon lit avec un bras derrière la tête, un léger sourire flottant sur mes lèvres, je pense encore et toujours à Polaris. Comment est-ce possible que j'aie l'impression de connaître cet être depuis si longtemps ? Pourquoi nous entendons-nous si bien si rapidement ? Est-ce un rêve ? Si tel est le cas, qu'on ne me réveille pas. J'ai envie de le vivre, et jusqu'au bout s'il en existe une fin. C'est presque trop beau pour être vrai. D'ailleurs, est-ce bien réel ? Je n'en ai aucune preuve.

Une semaine est passée, puis deux, et chaque jour, mon sentiment de bien-être lorsque je suis avec Polaris grandit. J'ai toujours de plus en plus hâte de retrouver la montagne et ce fameux pont aux abords de la petite clairière. C'est un endroit si charmant, si calme... C'est un refuge, le genre d'endroit où on a envie de se retrouver lorsqu'on veut ou qu'on a besoin d'être seul. Ou même, le genre d'endroit où on n'emmène qu'une personne spéciale, pour être tranquille avec elle. C'est un bel endroit. Et je connais désormais par cœur le chemin pour l'atteindre en toute discrétion et sans danger.

Je repense aux paroles de Polaris, l'autre jour, à propos de sa nature différente. J'avoue que cela m'a d'abord beaucoup intrigué, et j'ai cru ressentir une pointe de crainte germer à l'intérieur de moi. Cependant, elle s'est rapidement résorbée. Je n'ai pas peur. Plus j'apprends à connaître Polaris, plus je l'apprécie. Et plus je m'attache. C'est un être formidable, rempli de merveilleuses surprises que je prends plaisir à découvrir de jour en jour. Et même s'il cache peut-être un secret bien enfoui ou une malédiction mystérieuse, je sais - je sens - qu'il ne me fera aucun mal. Jamais. Ou du moins, pas volontairement.

Pas peur. Non, pas peur. Je me sens en confiance. Et je lui fais confiance. Même si cela peut éventuellement mal se passer... Je sais que ça en aura valu la peine et que je n'aurai, au final, aucun regret.

Je ne connais peut-être pas Polaris depuis très longtemps, mais il y a déjà une connexion entre nous, une connexion si tangible que l'on pourrait presque la voir et la toucher, tels de minces fils lumineux nous liant l'un à l'autre à travers chacun de nos univers. D'ailleurs, ces univers semblent disparaître lorsque nous parlons là, au milieu de cette forêt dressée sur la montagne. C'est comme si nous étions réunis, dans un tout autre univers, un univers parallèle où nous nous voyons, un univers où il n'y a personne d'autre que nous. Je me sens bien dans cet univers et il me serre le cœur de devoir le quitter à chaque fois.

Je suis certain que, dans un autre univers, en ce moment, Polaris est à mes côtés... Et cette simple pensée parvient à me réconforter un peu.

Demain, j'apporterai mon cahier de dessin à la montagne et m'amuserai à griffonner un peu pendant mes conversations avec Polaris. J'ai envie de saisir l'ambiance de la clairière, de la mettre sur papier, comme je le fais avec toutes les choses que j'aime bien et qui ont une certaine importance pour moi. C'est ma manière de les garder avec moi, et de les graver dans ma mémoire par leurs traits et leurs détails que ma main illustre sur le papier, pendant que mes yeux les immortalisent dans mon esprit. Je dessine des objets, des endroits, des animaux... et parfois des gens qui me sont chers. Mes parents sont les seules personnes, jusqu'à présent, à avoir leur place sur les pages de mon cahier. Cependant, en ce qui les concerne, leur image n'est pas gravée que dans ma mémoire, contrairement aux autres dessins : elle l'est aussi sur mon cœur.

Mes pensées dérivent vers mes parents, dont leurs photos sont toujours accrochées au mur devant moi. Ils me manquent, comme toujours. Mais étrangement, pour la première fois depuis deux ans, je me sens serein. Les larmes ne montent pas à mes yeux, ma gorge ne se serre pas, ma respiration reste calme. Je pense à eux et le petit sourire de tout à l'heure refait surface. J'ai eu de la chance d'avoir des parents aussi formidables, qui m'ont toujours aimé et encouragé dans mes idées et mes projets les plus fous. Je leur en ai certainement fait voir de toutes les couleurs, mais ils ne m'ont jamais laissé tomber. Ils ont toujours été là pour moi, et pour cela, je leur en serai éternellement reconnaissant. Ils ont su me montrer ce qu'aimer et être aimé signifiait, et que même dans les moments les plus difficiles, l'amour gagne toujours.

Mon regard glisse de lui-même vers les photos scotchées au mur au pied de mon lit. Je n'ai peut-être connu mes parents que pendant les dix-huit premières années de ma vie, mais ces années furent tout de même les plus belles et je ne regrette aucune d'elles. La vie nous arrache parfois des parties de nous, mais en faisant cela, elle nous prouve non seulement leur importance, mais aussi l'importance des autres parties restantes. Et même si cela est douloureux et déchirant, il est possible de s'en sortir en renforçant ces dernières et en en créant de nouvelles.

Et je crois justement que Polaris est l'une de ces nouvelles parties. J'en suis même certain.

Depuis que je l'ai rencontré, je sens une nouvelle énergie dans mes activités, une nouvelle motivation à me réveiller chaque matin dans l'espoir de lui parler. Je ne me suis pas senti comme ça, aussi bien, depuis la mort de mes parents. Polaris est comme un doux baume venant recouvrir la cicatrice causée par le départ de mes géniteurs. Sans la faire disparaître — car elle ne disparaîtra jamais — il en diminue l'apparence et la profondeur, me permettant d'y accorder un peu moins d'attention qu'auparavant.

À travers nos conversations et nos éclats de rire, j'ai l'impression de redécouvrir la signification du mot vivre.

« Vivre est la chose la plus rare. La plupart des gens se contente d'exister. »  — Oscar Wilde

Pendant deux ans, je n'ai fait qu'exister, suivant le flot qui semblait m'emporter vaguement vers un futur toujours de moins en moins certain. Mais aujourd'hui, je me retrouve. Je suis de nouveau moi, le Loriam que mes parents ont connu, celui qu'ils ont élevé et aimé. Et cela fait un bien fou.

Sur cette pensée, un léger sourire flottant toujours sur mes lèvres, je pose ma tête sur l'oreiller, parcourant une dernière fois du regard ma petite chambre d'appartement douillet. Puis je ferme les yeux et, emmitouflé dans mon confortable cocon de couvertures fraîches, m'endors sans le moindre tourment. 

POLARIS [Skam France]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant