Chapitre 9 - Ça compte pas

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La météo ne semble pas être de notre côté.

Voilà maintenant trois jours que de violents orages s'abattent sur Cepheus et les environs. Les routes pour se rendre à la montagne ont été barrées par la sécurité routière, trop dangereuses à la circulation en raison des risques élevés de glissement de terrain ou de crues soudaines. De plus, il fait très sombre et la visibilité est grandement réduite. La canicule de mi-été n'y est certainement pas pour rien dans tout ça.

Enfermé dans mon petit appartement, je ressasse sans cesse mes derniers moments passés avec Polaris. Sa douce voix, ses doigts dans les miens, ses paroles pleines de réconfort... Sa présence me manque déjà.

Je tente de m'occuper l'esprit comme je le peux, mais chaque fois, ma concentration est déviée vers cet être monopolisant mes pensées.

Je tombe et je le sais. Et je me laisse tomber.

Étendu sur mon lit, j'attrape mon sac à côté de moi et en sors mon carnet à dessin s'y trouvant depuis ma dernière visite à la montagne. Mon crayon est toujours coincé entre les pages. Je retrouve ainsi le dessin de la clairière par cette journée ensoleillée et un sentiment de bonheur prend place en moi, comme une étoile ardente dans un ciel terne et sans vie. Je scrute les différents détails de l'ébauche, chacun d'eux me ramenant à un moment précis avec Polaris.

Après quelques minutes de contemplation, je tourne la page, me retrouvant face à une surface encore vierge. De la pointe de la mine de mon crayon, j'entreprends quelques lignes délicates que je trace sur le papier. Je ferme ensuite les yeux quelques secondes, puis les ouvre afin d'observer ma main, celle ayant été en contact avec celle de Polaris. Je souris malgré moi à ce souvenir et poursuis l'esquisse d'un geste lent mais concentré.

Le dessin prend graduellement vie et les formes deviennent plus évidentes à discerner. Bientôt, deux mains apparaissent, leurs doigts entrelacés dans une volonté de proximité et de réconfort. Je m'attaque aux détails caractérisant le réalisme d'une main, ombrant les espaces entre les doigts et traçant quelques légères lignes définissant les jointures et les métacarpes. J'ajoute une petite cicatrice sur le dessus de l'une des mains, représentant celle que je me suis faite étant petit en tombant de vélo. Qui aurait cru qu'une simple roche pouvait être aussi coupante!

Pendant quelques minutes, ce souvenir me ramène à mon père qui était accouru et qui avait enveloppé ma main dans son t-shirt pour ne pas que je la voie saigner. Il avait fait ça simplement et son calme apparent — car je suis certain qu'il était paniqué intérieurement — m'avait tout de suite fait oublier ma chute. Il était vraiment le meilleur des pères. Et pas seulement le meilleur des pères, mais aussi le meilleur des maris.

Pendant toutes ces années où ma mère a été malade, il n'a pas flanché. Il a été là pour elle, il a été là pour moi, alors que personne n'était là pour lui. Il a pris soin de ma mère lorsque le droit de retourner à la maison lui était accordé, et Dieu seul sait à quel point le cancer est destructeur et douloureux, autant pour la personne atteinte que pour son entourage. Mais papa n'a jamais abandonné. Notre famille était l'élément le plus important de sa vie, passant même avant celle-ci.

Je n'aurai jamais pu le remercier pour tout ce qu'il a fait : pour toutes ces heures où il est resté éveillé la nuit pour me bercer alors que ma mère, à l'hôpital, me manquait, pour toutes ces années de combat contre une maladie qu'il ne pouvait contrôler et pour l'amour inconditionnel qu'il a toujours porté à ma mère malgré les embûches rencontrées.

Je tourne quelques pages et retrouve le dessin de mes parents, fait quelques mois avant leur décès à tous les deux. Il était inspiré d'une de leurs photos de mariage alors qu'ils étaient encore très jeunes, mais avec leurs singularités et leurs traits d'aujourd'hui. Je passe mes doigts sur le papier, caressant leur visage désormais disparu de la réalité.

Ma mère aussi était une héroïne. Bien que le cancer ait fait partie de sa vie pendant près de la moitié de la mienne, c'est l'image d'une femme en santé et pleine de vie que je garde d'elle. Elle était si belle, pas étonnant que mon père l'ait remarquée si vite. Puis, elle dégageait la joie de vivre, le bonheur incarné. C'était facile avec elle. Elle était ma meilleure amie, ma confidente, ma guide. Elle avait toujours les bons mots pour chaque situation. Même à l'agonie, lorsque son visage était déformé par la douleur et par la peur de mourir, ses yeux exprimaient l'amour qu'elle nous portait, à mon père et à moi. Sa force était tout simplement incroyable.

Une larme glisse de sur ma joue pour aller s'écraser contre le papier, juste en dessous du graphite recouvrant la page. Je lève les yeux vers le plafond, tentant de ravaler les prochaines, sentant la cicatrice sur mon cœur s'ouvrir de nouveau.

Il ne faut pas.

Je tourne les pages encore une fois jusqu'à ce que j'atteigne mon dessin de tout à l'heure, ce dessin de ma main entrelacée à celle de Polaris. Et aussitôt, c'est comme un baume qui vient étancher la douleur dans ma poitrine.

J'ai besoin de voir Polaris. J'ai besoin de sentir son corps entre mes bras, son souffle contre ma peau, ses doigts dans mon dos, ses bras autour de moi, ses lèvres contre les miennes. J'ai atrocement besoin de cet être, de sa présence avec moi, parce que depuis que je l'ai rencontré, tout ça ne compte pas. Il n'y a que lui qui compte.

À cette pensée, je referme mon carnet d'un coup et saute de mon lit. Dehors, la pluie semble avoir momentanément cessé. Voilà ma chance.

En vitesse, j'enfile un jeans slim et un t-shirt par-dessus lequel je revêtis une chemise. La pluie ayant rafraîchi l'atmosphère, je suis certain que la canicule ne se fait plus trop sentir. Et puis, avec le temps qu'il fait depuis les derniers jours, vaut mieux en mettre plus que pas assez!

Je fouille ensuite dans mon placard pendant plusieurs minutes et trouve enfin l'objet de mes recherches : une lampe-torche. Il est temps pour moi d'affronter ma peur de l'obscurité.

J'attrape ainsi mes clés de voiture et n'emportant rien d'autre que ma source de lumière, je quitte mon appartement, direction Cepheus.


« Quand on sépare une particule intriquée, et qu'on éloigne ses deux parties l'une de l'autre, même chacune à un bout de l'univers, si on modifie ou affecte l'une, l'autre sera identiquement modifiée ou affectée. » (Only Lovers Left Alive, 2013)

POLARIS [Skam France]Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora