Chapitre 8 - T'es plus tout seul

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Les heures passent et les sujets de discussion s'enchaînent allègrement. Nous rigolons la plupart du temps, et c'est tellement agréable. Après la confidence de ce matin, cependant, une autre me trotte dans la tête.

Dans un blanc de conversation, et voyant le temps défiler bien trop rapidement, je décide d'aborder le sujet qui me semble tout de même important, surtout après les confidences de Polaris sur sa présence dans ce tunnel.

- Tu te souviens quand tu m'as parlé de ta famille, de la façon dont tu t'es retrouvé ici ?

- Hm hm, oui, je me rappelle.

- Tu m'avais dit qu'il y avait eu un accident cette journée-là.

- Oui, j'avais entendu mes parents en parler. C'est plus tard que j'ai compris que cet accident les avait aidés à me cacher...

- Cet accident... Eh bien...

J'essaie de trouver les mots pour expliquer ce que je veux confier à Polaris. Mais ce n'est pas facile. Ces souvenirs ne sont peut-être plus aussi douloureux qu'avant, mais ils le sont toujours suffisamment pour me serrer le cœur à leur pensée.

J'enfonce mes ongles dans la peau de mes paumes pendant quelques secondes et reprends.

- J'étais... J'étais dans cet accident, avec mon père. J'ai survécu... Pas lui.

- Bon sang Loriam, je suis tellement désolé ! Je n'avais aucune idée que...

- Ne t'en fais pas, tu ne pouvais pas savoir. Et puis... Ce n'est pas ta faute.

- Tout de même... Je suis sincèrement désolé...

- Merci.

Un silence s'installe, mais je n'ai pas vraiment la force de le briser. J'ai juste besoin d'un câlin. Je glisse à nouveau ma main dans l'obscurité, ayant irrésistiblement besoin d'un contact avec une personne qui compte beaucoup pour moi. Aussitôt, la main de Polaris vient recouvrir la mienne et je sens une vague de chaleur parcourir ma poitrine, chassant les frissons de ces mauvais souvenirs.

Après plusieurs minutes de réconfort, Polaris demande :

- Est-ce que tu te sens capable de me raconter ce qui s'est passé ? Je n'ai jamais vraiment su ce qui était arrivé ce jour-là, au lac.

Je prends une profonde inspiration et bouge légèrement mes doigts contre ceux de Polaris.

- Oui, je crois que j'en suis capable. Mais surtout, ne lâche pas mes doigts, d'accord ?

Polaris souffle un léger rire avant de répondre :

- Pas de souci.

Aussitôt, je sens apparaître un sourire sur mon visage. Puis, je commence...

- C'était le jour de mon anniversaire, précisé-je d'abord à l'intention de Polaris.

- Attends une seconde ! Toi aussi ? s'exclame déjà mon ami.e.

Je rigole légèrement à sa réaction si soudaine et expressive, en contraste avec son calme habituel.

- Oui, moi aussi. Faut croire que notre rencontre était inscrite dans les étoiles, dis-je un peu théâtralement.

- Faut croire oui, confirme Polaris, un sourire évident dans la voix. Désolé de t'avoir interrompu, continu.

Ainsi, j'entame réellement mon histoire, lui racontant ma sortie à la montagne avec mon père, lui parlant brièvement de ma mère malade. Je lui décris dans les détails tous mes souvenirs de cet après-midi merveilleux en compagnie de mon père. Puis vient le moment où je dois énoncer l'accident. Un pincement s'installe dans ma poitrine et je me sens devenir lourd.

À ce moment, Polaris croise ses doigts avec les miens et je sens ce poids disparaître peu à peu de sur mon corps. Je me calme.

Je raconte le camion en perte de contrôle, notre plongeon dans les abysses du lac, la noirceur totale nous engloutissant, puis ma remontée à la surface, la redécouverte de la lumière, l'annonce officielle de la mort de mon père, mon retour à la réalité, et enfin, le décès de ma mère quelques semaines plus tard.

Polaris ne dit rien, et m'écoute attentivement. Je le sais, car ses doigts exercent de légères pressions sur les miens lorsque ma voix semble être sur le point de se briser. Elles servent à me signifier que je ne suis pas seul, comme un « je suis là » silencieux.

Mon récit terminé, je me tais. Polaris attend quelques secondes avant de lancer :

- On n'a pas eu de chance niveau famille, dis donc !

Le ton ironique de Polaris me fait rire un peu, soulageant l'atmosphère de sa lourdeur. C'est vrai.

Je caresse doucement le dessus de la main de Polaris de mon pouce. Ce geste, que j'avoue trouver des plus mignons, m'aide à retrouver une certaine paix, un certain bien-être.

- C'est pour ça que tu as peur du noir...

- C'est ça. J'ai peur de retrouver les profondeurs du lac, de ne plus être capable de respirer, de retrouver la lumière. Ça me fait paniquer.

- Je comprends, tu peux me croire.

Je repense à la peur de la lumière de Polaris. En effet, cet être me comprend.

- Mais je suis là maintenant, ajoute celui-ci. T'es plus tout seul.

Je souris sans m'en rendre compte, les douces paroles de Polaris s'immisçant dans mon cœur comme si elles avaient toujours connu le chemin pour l'atteindre.

- Je suis content de m'être perdu et d'avoir emprunté ce chemin par erreur.

- Moi aussi. Sinon, nous ne nous serions probablement jamais rencontrés.

Je souris dans le vide, ma main toujours dans celle de Polaris, douce, chaude, réconfortante.

- Tu crois que nous pourrons nous voir un jour ? lançé-je doucement, presque dans un souffle.

Un silence, puis :

- Je ne sais pas. Mais je l'espère très fort.

- Moi aussi.

Je reste avec Polaris jusqu'au coucher du soleil. Du fond de la forêt, le ciel orangé est difficile à observer alors que, j'en suis sûr, il est magnifique du haut de la montagne. Je ne m'attarde cependant pas trop sur cette idée, celle de la noirceur éminente me préoccupant davantage. Comme je ne supporte pas l'obscurité, rester plus longtemps m'est impossible, surtout sans lampe torche.

Mes doigts ayant passé la journée sous et entre ceux de Polaris, ils ne veulent cependant plus s'en détacher. C'est à grands regrets que je retire finalement mes doigts du tunnel, de la chaleur de Polaris.

De nouveau maître de ma main, je lui jette un coup d'œil, un peu comme si c'était la première fois que je la voyais. Sur ma peau se dessine une légère trace de la présence de celle de Polaris contre la mienne pendant si longtemps. Une marque rougeâtre, formant des doigts, est étampée sur le dessus de ma main. Je n'ai pas envie qu'elle disparaisse. Je n'ai pas envie de la voir s'effacer. Et pourtant, je sais que dans quelques minutes, ma peau aura repris sa coloration normale et toute trace tangible de l'existence de Polaris aura disparu.

POLARIS [Skam France]Kde žijí příběhy. Začni objevovat