Chapitre 23 : L'astre, la lueur et la corneille

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Fidèle à sa parole, Cyan avait passé le reste de sa matinée à errer dans les couloirs du château, à visiter les innombrables pièces qu'ils desservaient et à grimper des escaliers interminables jusqu'à atteindre les immenses combles traversés d'arches de pierres, de lierres et de poutres de bois dont le tressage sauvage formaient un enchevêtrement aussi hétéroclite qu'harmonieux. Puis il avait tenté de regagner les cuisines, s'était perdu, avait atteint, sans trop comprendre comment, la laverie où s'échinaient les lavandières avant de se perdre de nouveau, de retrouver sa chambre et d'oublier la route par laquelle il avait accompli ce petit miracle.

Il commençait à peine à poser ses repères entre les appartements de son Etoile Compagne, les cuisines de Johana et le grand hall de l'entrée quand la silhouette de Mariza s'était découpée en contre-jour, dans son angle mort.

Et elle n'avait visiblement pas été prévenue – où s'en moquait éperdument – de son congé pour la journée.

Il avait écouté jusqu'au bout son sermon sur la nécessité absolue de rester au côté de son maître à toute heure de la journée, se pinçant les lèvres pour ne pas la couper dans ses remontrances et risquer de déclencher une nouvelle diatribe insupportable.

Il avait espéré qu'une fois son souffle épuisé, elle lui aurait simplement ordonné de rejoindre Son Impérialissime Altesse pour y exercer ses obligations. Au lieu de quoi lui avait-elle attrapé le bras de sa poigne de gladiateur et l'avait-elle entraîné sans plus de cérémonie dans son sillage, en direction du bureau de son Etoile Compagne.

Il aurait juré que Sa Satanée Altesse avait esquissé un sourire moqueur lorsqu'il l'avait vu être traîné de force par son intendante comme un petit enfant turbulent et particulièrement récalcitrant. Là, Mariza lui avait proposé de le détacher à l'entretien des commodités du château afin de lui enseigner un peu d'humilité et de rigueur, qualités qu'il ne manquerait certainement pas de développer au contact prolongé des déjections d'autrui.

Et cet enfoiré de prince avait osé faire mine d'y réfléchir.

Un regard noir de sa part avait rappelé Sa Mesquinissime Altesse à davantage de modération dans ses élans taquins, raison pour laquelle Mariza avait été courtoisement congédiée, sa requête rejetée.

Depuis, Cyan ne quittait plus les environs de son Etoile Compagne. Non par sens du devoir, évidemment – de cela, Cyan se fichait comme d'une guigne – mais parce qu'il craignait de recroiser l'intendante et de subir quelque répugnante punition de son cru.

Tant qu'il ne maîtrisait pas la topographie des lieux, ce qui le rendait incapable d'éviter les mauvaises rencontres intempestives, il estimait plus prudent de profiter de la protection tacite de son Etoile Compagne.

Il ne doutait pas de maîtriser rapidement les difficultés que lui opposait ce château labyrinthique. Aussi s'était-il rendu, sitôt après le déjeuner, dans le bureau de Son Imperturbable Altesse où, la bouche en cœur, il lui avait demandé s'il n'accepterait pas de lui prêter les plans de sa demeure.

À présent installé sur le confortable sofa de l'étude, les plans étalés devant lui sur toute la surface de la table basse, Cyan observait l'agencement des pièces, des corridors et de la moindre alcôve rapportés à l'encre noire sur les planches écornées. Son examen s'accompagnait du tic tac régulier de l'horloge, des crépitements des flammes dans la cheminée et du grattement persistant de la plume de Sa Studieuse Altesse, dont la main courait de gauche à droite sur la montagne de documents qui obstruait son bureau. S'il se concentrait, Cyan parvenait même à percevoir le passage des domestiques qui traversaient le corridor à pas léger, aussi discrets que des fantômes oubliés.

Etoile Noire - Tome  1 : Les Disparus de ResnaWhere stories live. Discover now