Etoile Noire - Tome 1 : Les Disparus de Resna

Chapitre 31 : Réconciliations

Lorsqu'ils sortirent de la serre, l'air frais presque froid du début de soirée leur fouetta le visage et colora les joues de Cyan d'une légère touche de rose. En réponse, sa main droite, toujours prisonnière de celle du prince, se lova plus étroitement dans son étreinte, avide de chaleur et de douceur tandis que le reste de son corps se couvrait d'une chair de poule irrépressible.

Paupières mi-closes, il inspira profondément, se gorgeant de l'odeur d'humus et de bois humide qui se dégageait de la forêt de saules, non loin d'eux. Le bien-être qu'il en retira participa à chasser les maux de têtes qui lui comprimaient les tempes et à dissiper les effets du parfum de la fallashiia qui affectaient son organisme. Son pas retrouva peu à peu son assurance et sa vision cessa sensiblement de dédoubler tout ce qu'il voyait, ce qui n'était pas pour lui déplaire.

Alors qu'ils marchaient, Linling en tête, Cyan coula un œil discret vers son Etoile Compagne. Son Impénétrable Altesse fixait un point dans le lointain, quelque part parmi les saules, les traits aussi lisses et inexpressifs que ceux d'une statue de marbre. Seuls ses longs cils argentés adoucissaient la courbe de ses pommettes par petites touches d'ombres bleutées, lui conférant une grâce et une fragilité dont Cyan venait tout juste d'appréhender la véracité. Car du roc imperturbable et inébranlable dont il renvoyait l'image, le prince n'avait que l'apparence ; il lui suffisait d'y regarder de plus prêt pour discerner les lézardes et les fissures qui jaillissaient de ses profondeurs et menaçaient l'intégrité de son être tout entier.

Il pouvait bien refuser de lui en parler, cela ne changeait rien à la réalité. Les secrets ne se dissolvent pas dans le silence. Ils stagnent, pourrissent et vous empoisonnent mais jamais ils ne disparaissent. Cela, Cyan était bien placé pour l'affirmer. Toutefois, il respectait son désir d'intimité et ne le forcerait donc pas à lui parler. Il garderait ses soupçons à l'abri dans son esprit et attendrait, pour les lui partager, que son Etoile Compagne eût assez confiance pour se dévoiler. En attendant, il aurait aimé découvrir davantage de ce qui se cachait derrière ce reflet policé et trop parfait.

Ainsi perdu dans ses pensées, il manqua de trébucher contre une racine quand d'un geste preste, le prince assura son équilibre.

— M-merci, marmonna Cyan sans oser le regarder.

— De rien.

Et le silence retomba, tout juste brisé par le froissement des feuilles sous leurs pas et le sifflement du vent entre les branches. Pas de remontrances, pas de longs sermons, pas le moindre signe de la réaction à laquelle Cyan s'était attendue de la part de Son Intransigeante Altesse. À croire qu'elle refusait de s'exprimer de peur de trop se révéler. Encore une fois.

Une sorte de gêne palpable, presque poisseuse, s'installa alors entre eux. Plus ils se taisaient, trop occupés à s'ignorer l'un l'autre, plus l'atmosphère s'alourdissait, les étouffait.

Quand ils arrivèrent en vue de l'étang qui les séparait du reste des jardins et où Linling les attendait, Cyan ne le supporta plus. Sans brusquerie mais avec fermeté, il retira sa main de l'étreinte de son Etoile Compagne avant de la ramener sur sa hanche en une pose déterminée.

Le prince fronça les sourcils, prêt à protester mais Cyan le devança :

— J'ai un marché à vous proposer.

— Encore un ? soupira son vis-à-vis.

Cyan esquissa un sourire impudent.

— Vous êtes un prince, vous n'accordez jamais rien sans rien, n'est-ce pas ? Je prends donc les devants.