Partie 1 : Chapitre 2

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De retour à la maison, je découvris que l'une de nos chambres avait été réquisitionnée : la chambre de Gaspard.

Au mois d'août 1939, je lui avais porté son ordre de mobilisation tandis qu'il stockait du bois de chauffage derrière notre ferme.

L'ordre comprenait son affectation, déclarant que le voyage s'effectuerait par train, qu'il devait emporter avec lui des vivres pour un jour, un casque s'il en possédait un, une cuillère, une fourchette, deux chemises en flanelle de coton, deux caleçons en flanelle de coton, deux paires de chaussettes en laine, deux mouchoirs, deux serviettes de toilette, deux étuis-musettes, ainsi qu'une paire de bretelles.

Il devait ensuite se présenter à la gare la plus proche, « immédiatement et sans délai », puis suivre les indications du chef de gare sous présentation de l'ordre.

Dans cette lettre qu'il avait envoyée, il décrivit comment ses camarades et lui avaient traversés la France dans des wagons à bestiaux. C'était la drôle de guerre, Sitzkrieg disaient les Allemands. Depuis, nous étions sans nouvelles de lui.

Ce soir là, comme j'arrivai à la ferme, maman chuchota :

« Un des leurs est en haut... »

Peut-être fut-ce le regard teigneux de mon père qui me fit imaginer un monstre. Aussi, fus-je surprise, découvrant ce grand dadais aux allures de chérubin à tête blonde. Fraîchement descendu nous rejoindre, l'Allemand dégingandé se posta devant nous dans la salle à manger. Nous déposâmes les cuillères tandis qu'il souriait en tirant sur ses bretelles, penché au-dessus de la marmite.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-il.

Petit père devint tout rouge et maman marmonna :

— De la soupe normande... Poireaux, choux...

Il tira une chaise et s'assit.

— ... et haricots, l'interrompit-il. Je le sais, je suis cuisinier.

Maman hocha la tête, sans savoir trop quoi dire ou quoi faire.

— Vous.., anônna-t-elle, vous en voulez ?

La chaise de petit père racla le sol, puis il quitta la pièce d'un air furieux.

Le jeune soldat le suivit du regard avant de revenir gaiement à nous :

— Avec plaisir, Madame.

Maman le servit comme je fixais ma soupe, bien incapable de manger.

— Vous étiez cuisinier avant la guerre ? Vous semblez jeune.

— Oh, non, déclara-t-il après sa première cuillère. Je être cuisinier des troupes. Se rendant compte qu'il portait son calot, il l'ôta et le plaça précautieusement sur ses genoux. Je.., un très mauvais soldat.

Il se mit à rire doucement.

— Pourtant, dis-je, vous portez l'uniforme de la Wehrmacht ?

Il leva les yeux sur moi.

— C'est pour que les autres ne me tirent pas dessus.

Je souris en observant mon bol, et il remercia ma mère à nouveau.

* * *

Les semaines suivantes passèrent sans que je ne revisse l'officier. J'oscillais entre soulagement et déception ; je pensais à lui, il m'avait rendu curieuse.

Au village, on assistait à un perpétuel ballet d'hommes allant et venant dans un charivari de half-tracks au milieu desquels couraient les gosses en train de crier. Des soldats arrivaient, puis repartaient au bout de deux jours. Nous étions un lieu de halte et de repos. Mais une troupe persistait, et à force de croiser certains hommes, je connaissais peu à peu leurs visages, parfois même leurs noms.

LiebchenWhere stories live. Discover now