Partie 2 : Chapitre 4

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Les jours passèrent, et je ne savais pas comment me rendre à l'hôpital. Celui-ci étant assez loin de Colleville, il m'était impossible d'effectuer le trajet à vélo. Je cherchais des solutions, à qui parler, sans toutefois parvenir à démêler la situation. 

Tout d'abord, je n'arrivais pas à m'inquiéter pour le bébé, je n'arrivais pas à concevoir qu'il était en moi, et qu'une partie de lui recelait de ce que j'avais perdu. 

Il me fallut plusieurs jours avant de comprendre, avant de pleurer, cette fois-ci, de joie. Je sus qu'il ne fallait plus tarder, qu'il fallait trouver rapidement un moyen de m'extirper de ce problème. Je ne pouvais pas perdre, pas encore, ce qui parvenait à m'insuffler les ultimes soubresauts de la vie. 

Un matin où personne d'autre que nous ne se trouvait à la maison, j'allai dans la chambre de Ralph afin de lui parler. À ma plus grande surprise, il était absent ; sa chambre était plongée dans le noir. J'ouvris la fenêtre avant de rabattre les persiennes, puis regardais dans le jardin : personne à la ronde. Remarquant le lit défait, j'allai ramasser la couverture, arrachai les draps, les secouai dans un étincellement de poussière. Un instant, il me sembla entendre un enfant, son rire. 

Tandis que je replaçais les coussins après les avoir battus, mon coude ou ma hanche, que sais-je ? heurta le chevet à ma gauche. La boite à bijoux tomba, et je me baissai afin de remettre en ordre ce qui s'en était échappé. Je vis alors les deux clichés, l'un d'entre eux était le portrait en pied d'un jeune homme dans une barque qu'on imaginait tanguer. Pagaie à la main, debout et tourné de trois-quarts, il riait en fixant l'objectif. Au dos, il était écrit : Liepnitzsee, den 4. Juli 1938. Sur le second cliché, Ralph et le bel inconnu s'embrassaient dans une cabine de photomaton. Seul un prénom était inscrit : Werner. Je m'empressai de fermer la boite et m'éloignai du lit comme l'on montait l'escalier. J'époussetai ma robe, apercevant mes joues cramoisies dans le miroir de l'armoire normande. Lorsque Ralph entra, je tenais entre mes bras un monticule de linge sale ; mon cœur battait la chamade. 

Il s'immobilisa près de la porte et plissa les yeux : 

— Que fais-tu dans ma chambre ? 

Je le regardai avec bien trop d'enjouement comme je le saluais. 

— Je vais faire la lessive, m'exclamai-je. 

Je baissai la tête et filai jusqu'à la porte, mais il demeura devant moi. 

— Tu as fait mon lit, remarqua-t-il. 

— Oui, je m'ennuyais et... 

— Laisse ça, m'interrompit-il, vas t'ennuyer ailleurs, j'ai pas besoin de toi. 

À la vue du regard dédaigneux qu'il arborait, la colère m'agita. 

— Tiens, fis-je, catapultant son linge contre sa poitrine, et débrouille-toi avec ta fierté allemande. AH, sale con ! 

Il demeura sans réaction comme je le poussai, puis m'évaporai dans le couloir. 


Quelques jours plus tard, Ralph revint à la ferme avec de nouvelles blessures.Cette fois-ci, un hématome de la taille d'une mandarine marquait sa joue et s'étirait jusqu'à l'œil ; la lèvre inférieure, elle, était à nouveau fendue. Nous le vîmes, maman et moi, depuis la cuisine où nous épluchions le rutabaga. Il traversa l'entrée avec empressement, puis monta l'escalier en boitant. Ma mère posa le couteau sur la table, me considérant en silence : 

— Quoi, demandai-je, que veux-tu que je fasse ? Il ne veut plus nous parler. 

Elle haussa les épaules, et je posai le couteau à mon tour. 

LiebchenWhere stories live. Discover now