Partie 3 : Chapitre 4

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Après avoir donné le bain à Stella, je l'emmitouflai et l'observais tendre ses précieuses petites mains hors de la laine, allongée avec elle sur le tapis. Dans la chambre, le gramophone jouait ce disque que Matthias m'avait offert, cet air :Mamatschi, cette mélodie qui pour moi signifie tant de choses. 

Et tandis que Mimi Thoma chantait le deuil de ce petit garçon pleurant la perte de sa mère, j'écoutais les gazouillis de mon cœur qui me faisait de grands sourires. 

Étendue près du feu, Stella saisissait mon doigt, puis le lâchait, m'extasiant de ses risées. Je caressais ses joues et ses cheveux frisottants, admirant la lueur orangée des flammes, danser sur sa peau, sur ces fesses rondes que je ramenai près de moi.

Lorsque je fis mine de becqueter son poignet potelé, allant y déposer des baisers bruyants, je déclenchai chez elle une série de fous rires. Elle me fixait avec de grands yeux attentifs, attendant que je recommence, que je pose mes lèvres, mais surtout, que je fasse le bruit, livrant là des larmes de tendresse. 

Je la cajolais davantage, puis la regardais s'endormir, sa joue replète contre le pli de la couverture qui formait un cocon. Je m'étirai, bâillai sans cesser de l'admirer, cet ange, cette étoile de la mer qui allait au rythme de l'inconscience. 

Elle ne connaissait pas la guerre, cette chose absurde qui jette un homme contre un autre sous prétexte qu'il est différent. Elle ne connaissait ni l'embrigadement, ni la haine, ni la honte, ni la notion d'appartenir à un camp.Personne n'était bon ou mauvais parce qu'il venait d'un certain côté de la ligne. Il n'y avait pas de ligne. Ces lignes sont un concept, elles rendent les choses plus simples à expliquer, mais aussi plus simples à détester. Les torts appartiennent à tous, si l'on veut creuser, chercher des raisons, et trouver des coupables.


Je ne pensais plus à tout cela le lendemain matin, lorsque le soleil se leva, et que je me réveillai seule. Nous nous préparions à fêter l'anniversaire de Stella, mon bébé, mon adorable petite fille ; je parlais toujours d'elle comme cela lorsque Hans était parmi nous. Ça n'est que plus tard que je me mis à dire : « Notre enfant ». 

En début d'après-midi, Ralph revint à la ferme avec deux belles bouteilles de Champagne dérobées au château. Petit père s'extasia dans sa chaise, déclarant à notre ami qu'il était décidément le meilleur des Allemands. 

Siméon demanda s'il pouvait goûter : 

« Sicher, répondit Ralph tout bas, aber pssst... » (Certainement, mais chut...)

Ce dernier avait fait un énorme gâteau, avec de la vraie farine et du chocolat,du beurre, du sucre, et toutes les autres raretés de notre époque. 

« Eine Schwarzwälder Kirschtorte » tentait-il de faire dire à mon père. 

Walder quoi ? Qu'est-ce que c'est qu'cette langue. 

« Nein, vous n'y êtes pas. C'est SchwarzWÄlder, comme un « è » ! » 

Tout cela pour dire — une délicieuse forêt noire. 

Plus tard, Hans me surprit près de la grange où j'allai chercher l'ultime bouteille de cidre conservée par mon père. Il me pinça les hanches, un sourire désolé et des excuses plein les yeux comme il m'enlaçait timidement. 

De retour dans le jardin, il alla saisir Stella, la hissant à bout de bras et embrassant son nez retroussé par le rire. Elle touchait son visage, sa main minuscule rencontrant sa bouche qui ne cessait de lui sourire. Saisissant son poignet, Hans décompta ses doigts en allemand. Stella le considérait avec de grands yeux curieux,observant ses phalanges repliées contre sa paume. 

LiebchenWhere stories live. Discover now