Partie 2 : Chapitre 7

1.1K 129 21
                                    

La seconde moitié de l'année 1941 fut le théâtre d'incidents en tout genre. 

Le plus amusant d'abord : fin septembre, les Allemands nous autorisèrent à aller à la pêche aux moules et aux coquillages, quand bien même la plage faisait partie intégrante de la zone côtière interdite. Tout le village s'en alla, cependant bien étonné comme les Allemands n'autorisaient pas grand chose. Et pour cause, c'était afin de mieux nous observer qu'ils nous avaient fait venir, eux-mêmes ne sachant pas comment s'y prendre avec les moules, couteaux et bigorneaux. Au soir du premier jour, ils stipulèrent que la pêche à pied était à nouveau prohibée, et quel'accès à la zone serait possible uniquement sur présentation d'un Ausweis, c'est-à-dire d'un laissez-passer qu'ils n'accordèrent bien entendu à personne. 

Amusant également, ces portraits du Maréchal Pétain qui disparurent de l'école primaire au mois d'octobre. Certains furent retrouvés épinglés aux arbres du champ de foire, arborant la moustache d'Adolf Hitler entre autres petits dessins grivois. 

Ce fut également le temps des aberrations : un ouvrier agricole fut arrêté et emprisonné pour possession d'un pigeon voyageur. Des feuilles de tickets de rationnement furent volées en gare, et un avion de la Luftwaffe piqua du nez dans lamer. En ville, l'on racontait comment le jeune pilote avait voulu impressionner un général venu de Berlin pour observer l'avancement du mur de l'Atlantique. L'aviateurs'était mis à raser les vagues et avait tenté d'amorcer un looping. 

La fin de l'année connut quant à elle son lot d'infamie. Survint la chasse aux communistes ; celle-ci mena à bon nombre d'arrestations. Des militants furent déportés, et l'on entendit pour la première fois ces noms : Buchenwald,Sachsenhausen. Pour autant, cela n'empêcha pas les camarades de continuer la distribution des tracts, ce « délit de propagande » comme le qualifiait la Wehrmacht. 

Quelques semaines plus tard, survinrent de nouvelles arrestations : des employés des PTT, des étudiants, des ouvriers. Tout le monde, tout le monde était un communiste ; ce nouveau diable désigné par les Allemands. On traquait, on livrait, on se surveillait du coin de l'œil pour de l'estime ou un bout de pain. 

En janvier 1942, un aviateur anglais fut retrouvé mort suite au crash de son avion. Tout Colleville se rassembla avec des fleurs comme la Wehrmacht avait décidé d'inhumer décemment leur ennemi. Ceux-ci prirent notre initiative pour de la résistance, (sans doute avaient-ils raison), et interdirent l'accès à la chapelle ainsi qu'au cimetière. Pourtant, malgré le discours pétulant du colonel Ludwig dans l'après-midi, « Acte de collaboration avec terroristes ! » des dizaines de villageois allèrent déposer des gerbes sur la tombe le soir venu. 

Au milieu du même mois, un groupe de résistants sabota des motos allemandes parquées dans un entrepôt. S'en suivit une amende d'un million de francs à payer parla ville, c'est-à-dire par chacun d'entre nous. 

— Un million, un million de francs ! 

Puis petit père en vint à parler de la hausse du prix du tabac : 

— Plus de six francs, c'est un scandale ! 

Ma mère ôta son tablier. 

— Mais, Albert.., déclara-t-elle, tu ne fumes pas. 

— Pourquoi veux-tu me contrarier ? riposta-t-il. C'est tout de même aberrant. 

Je haussai les yeux, berçant Stella comme ils quittaient la cuisine en se chamaillant. 

— Elle s'est endormie, murmura Ralph. 

— Avec tout ce raffut, fis-je, c'est une vraie souche. 

Souche ? répéta-t-il. Chez nous on dit « Schlafen wie ein Stein » : dormir comme une pierre, une brique. 

— On dit ça aussi, l'informa Siméon. 

LiebchenNơi câu chuyện tồn tại. Hãy khám phá bây giờ