Partie 1 : Chapitre 11

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Dix jours, dix maigres jours dont je ne profitais pas assez. Nous étions deux taches de remords, qui peu à peu, déteignaient l'une sur l'autre, de peur de se retrouver face au supplice de la discussion, de la confrontation. 

Etait-ce de sa faute s'il ne disait pas tout ? S'il mentait, plutôt, s'il m'épargnait ?J'avais pu croire qu'il s'était moqué de moi, quand seulement il m'avait prise pour une enfant à qui on ne dit rien pour mieux conserver l'amour. 

Tandis que l'église revêtait de somptueux décors, s'apprêtant à accueillir la naissance d'un christ qui n'était pas aryen, je souhaitais que cette naissance tarde et que les jours s'allongent, que les nuits se perdent dans un cadran, un gouffre, où le temps serait un espace sans limites. Sans limites, l'était également mon égoïsme. Je devenais un monstre, espérant pour nous et omettant les autres. 

— Qui est-ce, cet officier qui est venu nous aider ? 

Penchée au-dessus du poêle, je laissai les mots de ma mère glisser contre ma carapace, cette croûte inextricable formée par l'épaisseur du mensonge. 

Cela faisait si longtemps, que j'étais bien incapable de me souvenir de ce qui était vrai et de ce qui ne l'était pas. Je m'étais perdue dans les excuses, les solutions temporaires, mes maux, mon silence, dans la solitude de mon labyrinthe. 

Je me retournai, percevant l'effluve des châtaignes avant d'éviter le sujet : 

— Papa a fini de réunir le blé pour les réquisitions ? 

Ma mère me regarda, l'œil triste derrière la table nue. 

Elle hocha la tête, puis baissa les yeux : 

— Ils viennent demain, ils prendront les derniers veaux. 

L'étau de l'affection comprima ma gorge.Nous n'auront bientôt plus rien, Béate, plus rien. » 

Elle jeta son torchon et quitta la pièce. 

« Plus rien », ces mots que j'entendis le soir même, surprenant mes parents : 

— Comment va-t-on manger ? 

— Fallait se poser la question avant de tuer les bestiaux... Malades, ils étaient même pas malades ! 

— Moins fort, Albert. 

— Y'a qu'à manger le blanc-bec, en haut, même les boches ne l'aiment pas. 

— Albert..! 

— Il a la tête au carré, le Fritz

Les nuits où je dormais à la ferme, j'entendais Ralph pleurer à travers le mur qui séparait nos chambres. Le matin venu, il marchait fièrement avant de s'en aller sans un mot et sans un regard. Trois jours avant Noël, il revint avec de nouveaux hématomes, l'œil droit tuméfié et l'arcade sourcilière fendue jusqu'à la tempe. 

Ce fut ce soir-là qu'ils incendièrent notre champ. 

Furieux tandis qu'il venait de rentrer, Ralph sortit le premier au côté de mon père, le fusil à la main. Il tira dans la pénombre à la lueur des flammes qui embrasaient la campagne, abattant froidement les hommes qui ne coururent pas assez vite. Je regardais ces ombres disparaître dans l'herbe haute, s'allongeant près des flammes qui viendraient bientôt les lécher. 

— Pas éteindre le feu, conseilla-t-il à mon père, laisser les cadavres brûler. 

Son misérable seau entre les bras, petit père m'observa, saisi, comme j'accueillis le caractère inévitable du choc. 

D'aucuns, diraient que cet Allemand avait tué plusieurs des nôtres, d'autres,qu'il nous avait vengés. Traître ou patriote ? La barrière n'était plus tangible. 

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