Partie 4 : Chapitre 2

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Après plusieurs semaines de grand froid, les premiers rayons expulsèrent nos clients sur la terrasse du café. Qu'il soit Allemand ou Français, chaque homme faisait la même chose : il fermait les yeux, le visage tourné vers le ciel. Tandis que ces messieurs prenaient un revigorant bain de soleil, je veillais, prête à servir, quand vraiment, j'attendais ce que monsieur Flochard appelait « notre pigeon ». 

Sur la gauche, un petit groupe de soldats raillaient l'un des leurs qui avait acheté un accordéon qui faisait des couacs. Pourtant, l'autre s'évertuait à jouer,refusant d'admettre qu'il s'était fait avoir. Comme le plus vieux lui lança son verre à la figure, et qu'ils éclatèrent de rire, j'aperçus Matthias Schäfer sur la grand-place. Il quittait la Kommandantur d'un pas pressé, des journaux sous le bras. 

Je le hélai depuis le trottoir. 

Fräulein Thomas. 

— J'allais croire que vous m'évitiez. 

Galamment, il se pencha sur ma main. 

— Vous éviter ? s'exclama-t-il en se redressant. 

— Oui, je ne vous vois plus. 

Il se dandinait d'un pied sur l'autre, ses joues creusées par de petites fossettes. 

— C'est que.., j'ai beaucoup de travail. 

— Énormément depuis que Hans est revenu. C'est drôle, on me dit toujours ça. 

Il leva les yeux, puis soupira d'un air fâché. 

— Excusez-moi, Béate, je ne voulais pas paraître... 

— Ce n'est rien, l'interrompis-je. Du café ? 

— Oh.., ce matin je n'ai pas le temps. C'est vrai ! assura-t-il. 

— Une autre fois alors ? 

Je le vis sourire franchement. 

Ja, c'est promis. 

Il se retourna, prêt à partir lorsque notre « pigeon » s'empêtra dans ses jambes. Matthias vacilla sous la force du chien, rit en voyant l'animal battre de la queue.

— Il est comme moi, s'exclama-t-il gaiement, il apporte le journal ! 

Bien difficilement, j'affectai un sourire. 

Il est à vous ? Je le vois souvent ce chien. » 

— Oh, non, répondis-je en me déridant, il est un peu à tout le monde. 

Il caressa le chien, et j'en fis autant, tâchant de le ramener vers moi. Mais l'animal qui fuyait habituellement l'uniforme se pressa davantage contre Matthias,qui comme souvent, ne portait qu'une tenue de civil. 

— J'ai un chien en Allemagne, un peu comme celui-là. (Il se baissa, lui gratta le cou avec entrain.) C'est une tête de mule, il n'écoute personne à part ma femme. 

Je fis mine de rire lorsque le chien ouvrit la gueule et lâcha le journal sous les caresses qu'on lui procurait. Matthias se pencha le premier ; je me figeai. 

— Je vous en prie, souffla-t-il en le ramassant. 

Lorsqu'il se redressa, les yeux rivés sur le journal et sur ce tract qui en dépassait, son sourire disparut. 

Nous nous considérâmes fixement. 

— Matthias... 

— Béate, taisez-vous. 

Il jeta un bref coup d'œil par-dessus mon épaule, observa le chien, et sans un mot, me rendit le journal après l'avoir replié. 

Horrifiée, je le regardai partir. 

LiebchenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant