Chapitre 12 - 4 : De retour (Roy)

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Tout ce baratin que j'avais livré aux curieux, on le retrouvait au mot près dans tous les journaux le lendemain. Le corps hospitalier semblait ravi de soigner des héros, et l'un des militaires pris en charge dans le même service que moi avait vanté d'un ton moqueur ma capacité à être photogénique en toutes circonstances. La peur provoquée par l'attaque avait rendu les gens éperdus de reconnaissance envers nous, ce qui était flatteur mais probablement passager. En pensant à toutes les choses noires qui se tramaient dans l'armée, je me disais que la situation était quand même très ironique.

J'avais passé quatre jours à l'hôpital, stupéfait d'apprendre de la bouche d'Hawkeye qu'Edward en était sorti au bout de vingt-quatre heures seulement pour reprendre les rênes de la mission suivante aussi sec. Moi qui avais déjà commencé à réfléchir à un remplaçant depuis le fond de mon lit, convaincu qu'il ne serait pas en état de faire la mission que je lui avais confié, j'avais exigé qu'il soit accompagné, et Havoc s'était aussitôt porté volontaire. J'avais nommé quelques soldats supplémentaires, dont un volontaire sous les ordres d'un collègue, afin d'avoir une escorte digne de ce nom, et la mission s'était déroulée exactement comme je l'avais prévu.

Et maintenant, j'étais de retour à mon bureau, face à une énorme pile de dossiers, le bras bandé, le moral incertain. J'étais content de penser qu'Edward était rentré chez lui prendre un peu de repos. Entre Barry le Boucher et l'attentat, ses nerfs avaient été mis à rude épreuve dernièrement.

Je pris le premier dossier et commençai à le lire distraitement, avant que l'image d'Edward bondissant du vide pour attaquer le terroriste me revienne en mémoire ; puis la manière dont il s'était presque jeté sous les balles à son arrivée. La peur que j'avais ressentie dans ces moments-là m'envahit de nouveau.

Je ne l'avais que rarement vu agir en mission. Je savais qu'il était tête brûlé, puisque je consultais tous ses rapports avec attention... mais entre le savoir et le voir de mes propres yeux, il y avait une marche énorme. A présent, je me demandais comment il avait pu traverser toutes ces années sans mourir, et je sentais que j'aurais du mal à ne plus m'inquiéter pour lui.

Alors l'imaginer à Resembool, au milieu des champs et des bois, était une nouvelle qui me rassurait beaucoup. Pendant quelques jours au moins, je pourrais me dire qu'il était hors de danger.

Cette idée apaisante en tête, je remis le nez dans mon dossier, plus attentif cette fois. Durant mes quatre jours d'absence, beaucoup trop de retard s'était accumulé dans mes dossiers... Un retard que je devais maintenant rattraper.

.oO°Oo.

Il devait être quelque part entre midi et deux quand quelqu'un toqua à ma porte. Je me rassis dans mon siège et levai les yeux en disant d'entrer, m'attendant à voir Hawkeye arriver et me demander pourquoi je n'étais pas encore parti manger. Aussi me sentis-je pris au dépourvu quand je découvris que la personne qui franchissait la porte s'avéra être Schieszka.

- Bonjour Colonel. Vous allez bien ? demanda-t-elle en restant à moitié derrière la porte, comme si elle hésitait à entrer.

- Aussi bien qu'on peut aller en sortant de l'hôpital, répondis-je d'un ton un peu désabusé. Que me vaut votre visite, Scieszka ?

- Tenez, en remerciement pour avoir sauvé Kent Jackson ! lança-t-elle comme pour masquer son embarras en me tendant un gros livre à la couverture de cuir.

Je restai figé, totalement pris au dépourvu. Un livre ? Kent Jackson ? Ce nom me disait vaguement quelque chose, mais quant à savoir quoi...

- Vous ne le connaissez sans doute pas aussi bien que moi, mais Kent Jackson est le propriétaire de la librairie du passage Floriane ; il a été très touché que vous ayez pris des risques pour le sauver ainsi que les autres otages blessés.

- Ah ! m'exclamai-je en faisant le lien avec le vieil homme sur lequel le terroriste avait tiré dans l'unique but de nous faire réagir. Je vois.

Elle sourit et s'approcha, posant le livre sur mon bureau, par-dessus une pile de bordel. Le cuir était rouge sombre, patiné par l'âge, et la dorure des lettres avait eu le temps de ternir. On pouvait quand même lire, sur la couverture et le dos, le titre.

« Les liaisons dangereuses. »

Je pris le livre pour le feuilleter, un peu incertain face à ce cadeau inattendu.

- Vous savez, je ne suis vraiment pas un grand lecteur, avouai-je avec un sourire penaud.

- Je ne connais personne qui n'ait pas été passionné par ce livre.

- Eh bien, je serais peut-être le premier. Je vous tiendrais au courant, quoi qu'il en soit, répondis-je en le refermant.

J'avais eu le temps de voir, glissé entre les pages de garde, une enveloppe en papier kraft qui contenait manifestement une liasse de papiers assez épaisse ; ce cadeau en cachait un autre.

- Il faut que je retourne travailler, ma pause est presque finie, et avec l'attentat du passage Floriane, les archives sont très sollicitées ces jours-ci.

- Je vois, je ne vous retiens pas plus alors, répondis-je réalisant que je n'avais toujours pas pris ma propre pause.

Elle hocha la tête et s'apprêta à sortir, mais je la hélais.

- Scieszka !

Elle se retourna.

- Merci pour la lecture, fis-je simplement en soulevant le livre.

- De rien, Colonel.

Elle quitta la pièce et referma la porte, me laissant seul avec un roman, moi qui ne lisais jamais. Je rouvris la couverture rigide, pris la pochette brune et l'ouvris pour y jeter un œil. On y trouvait des extraits de rapports, des coupures de journaux, des photos, ainsi que des résumés manuscrits et des cotes qui devaient être les références de dossiers d'archive qu'elle avait trouvé intéressants.

Je sortis une poignée de feuilles aux formats disparates. Un article vantait la rapide ascension de Juliet Douglas à l'occasion de sa nomination comme secrétaire du Généralissime, accompagné d'une photo ou elle posait à côté de King Bradley. La beauté de son visage était d'autant plus troublante qu'elle avait une expression fermée, extrêmement sévère. Je l'avais déjà croisée ou vu de loin, et elle m'avait donné une impression d'inflexibilité telle que je n'avais pas eu de mal, passé le choc de la révélation, à accepter l'idée qu'elle n'était pas humaine.

Juste après l'article que je regardai d'un œil vague, la photographie d'une tombe. Je me plongeai dans la lecture de la documentation que Scieszka avait rassemblée sur elle, commençant par une note où elle résumait les premières conclusions de ses recherches d'une écriture ronde et régulière.

« J'ai été étonnée de ne pas la trouver davantage dans les rapports alors qu'elle est à un poste aussi important. Il y a finalement très peu de documents faisant mention d'elle comparé à d'autres membres de l'armée.

Il y a plusieurs éléments flous ou incohérents que j'ai relevés, mais le plus choquant est celui-ci : Elle devrait être morte. Une certaine Juliet Douglas a été enterrée à Yuflam en septembre 1899, à l'âge de 39 ans, J'ai retrouvé une photo de la tombe en fouillant les archives confirmant cette information. Pourtant, elle n'a jamais été rayée des registres militaires, elle semble même être à l'origine de la bavure qui avait provoqué la rébellion ishbale.

Tout ceci me paraît absurde et terrifiant. J'espère que vous trouverez dans les documents que j'ai compilés plus de réponses que moi. »

Je poussai un soupir. Tout cela correspondait à ce que Hugues nous avait raconté concernant la secrétaire du Généralissime. Peut-être que ces recherches ne nous apporteraient rien de plus que ce que nous savions déjà. Malgré cette perspective peu encourageante, je feuilletai les documents, survolant les textes pour prendre connaissance du contenu en attendant de prendre le temps de lire tout en détail.

Bras de fer, Gant de velours - Deuxième partie : Central-cityOù les histoires vivent. Découvrez maintenant