II. Princesse d'Autriche (1/2)

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Lorsque le taxi s'arrête devant monsieur DeGervais, Noémie semble chercher les clients auxquels il est destiné.

– Ah, c'est pour nous... Vous n'avez pas mieux ? demande-t-elle.

– Hélas, non ! répond-t-il d'une voix lourde de sous-entendus.

– Ça ne vous dérange pas de prendre le siège derrière le chauffeur ?

Il semble accuser le coup. Son agacement est également proportionnel à la détente de sa cravate et à l'agitation de ses doigts. Il contourne le coffre et s'installe.

– Bah, alors vous montez ? grogne-t-il derrière la vitre.

Noémie ne peut pas l'entendre. Dans son rétroviseur, le chauffeur de taxi l'aperçoit. Elle se tient droite, la tête haute, élégante malgré le bandage sur son crâne et les contusions sur son visage.

– Je crois qu'elle veut que vous ouvriez la portière, ose-t-il préciser.

– C'est pas vrai...

Il détache sa ceinture et sort :

– Allez, montez madame Lav..., Princesse Natila.

Monsieur DeGervais se raisonne, il doit suivre l'avis des médecins.

Alors qu'elle prend place, il est persuadé de l'entendre dire « C'est pas trop tôt » au moment de refermer derrière elle. Tout passant peut remarquer l'énervement dans sa démarche lorsqu'il regagne son siège.

Il indique l'adresse de la maison d'édition que le taxi s'empresse de rejoindre.

– Eh, dites ! chuchote Noémie.

Il se penche et espère qu'elle va lui dire que tout ceci n'est qu'une blague.

– Il a une drôle de dégaine votre chauffeur.

Le rire gêné d'Alain DeGervais noie l'habitacle et il se frotte le front.

– Il nous entend, marmonne-t-il entre ses dents.

Elle hausse les épaules, s'en moque. Il prie pour maitriser ses émotions. Sans l'accident, voilà des lustres qu'il l'aurait remise à sa place.

Le chauffeur sent le malaise. Il augmente le volume de la radio et leur destination est atteinte après un quart d'heure sans un autre mot.

Éric vient à eux dès qu'ils pénètrent dans le hall :

– Vous allez bien, madame ? demande-t-il plein d'inquiétude.

Si contrairement à son patron il n'a pas vu l'incident, il a entendu le choc.

– Mais oui, je vais bien. Princesse, je suis princesse, martèle-t-elle en retirant sa veste.

Il reste les bras ballants et ne saisit pas le vêtement qu'elle lui tend. Son regard perdu s'envole vers son supérieur :

– Longue histoire. Apportez à boire dans mon bureau !

– Un thé vert pour moi, merci.

Les deux hommes se regardent.

– Un thé pour madame et un whisky pour moi.

Le chariot foule le tapis du bureau silencieux. Noémie patiente sur le canapé. Éric retourne le verre de cristal et saisit la bouteille aux reflets d'or.

– Qu'est-ce qu'elle attend ? demande-t-il à son patron.

Alain DeGervais s'approche plus près, il se positionne juste à côté de lui, se penche et murmure :

– Je ne sais pas. Elle est complètement gelée, cuite, tordue... Elle se prend pour...

– Une princesse, sérieusement, j'ai bien entendu ? coupe-t-il.

– Oui, oui, une princesse autrichienne... Oh, non mais quand même, elle a dégusté la princesse...

L'éditeur sort un mouchoir pour éponger sa lèvre supérieure et bois cul-sec son whisky. Éric saisit la tasse de thé qu'il dispose sur la table basse.

– Pouvez-vous m'indiquer où je peux me rafraîchir ? demande Noémie.

– Les toilettes sont au fond du couloir, à gauche.

Éric s'avance pour l'accompagner.

– Ça ira, je vous remercie.

Drôle de Viennoise [en pause]Where stories live. Discover now