III. Départ (2/2)

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En attente de l'embarquement, Noémie ne daigne pas s'asseoir sur les fauteuils et préfère déambuler dans la dernière boutique en accès libre.

Éric surveille les bagages tout en prévenant son patron qu'ils sont prêts à prendre l'avion. Puis, il ouvre sa page internet et inscrit dans le moteur de recherche : princesse Natila.

Dans les rares résultats, il en sort la biographie d'une princesse russe, Natalia, décédée au siècle dernier, mais aucune occurrence d'une Natila d'Autriche ou d'ailleurs ; vient ensuite des propositions d'écritures corrigées telles : « voulez-vous dire Princesse et Attila ?

– C'est comme dans les films, un coup sur la tête et v'là la déglingue ! marmonne-t-il pour lui-même.

Comment cette écrivaine si intelligente peut en être à ce stade, à se prendre pour une princesse imaginaire, en partance pour un pays qu'elle croit le sien, zigzaguant entre les allées d'un duty free et des parfums plein les bras ?

– Des parfums ! s'exclame Éric.

– Vous m'ouvrez cette valise, s'il vous plaît ?

– Mais... Comment avez-vous payé ?

Elle rit comme si elle répondait à une blague.

– Madame ! entend-on derrière elle.

Un agent de la sécurité trottine jusqu'à eux. L'intuition d'Éric vient de se confirmer. Faut dire qu'il est le seul à avoir un moyen de paiement.

– Vous comptez partir comme ça ? Je vais vous demander de me suivre.

Il se fait menaçant.

– Attendez, vous voyez bien qu'elle n'a pas toute sa tête ! dit-il spontanément.

Noémie ouvre sa bouche en O, choquée.

– Laissez-moi faire ! murmure-t-il entre ses dents.

– Vous croyez vous en sortir comme ça ? Suivez-moi, je ne le répèterais pas.

– Juste un instant, si vous voulez bien, monsieur. J'ai une lettre du corps médical. Je peux vous la montrer ? demande le jeune homme.

Méfiant, l'agent accepte d'un signe de tête.

Mesdames et messieurs, l'embarquement pour le vol AZ6798 à destination de Vienne, départ prévu à 11h15, va commencer.

– Vite, Éric ! lance Noémie.

Les autres voyageurs ne se précipitent pas, ils observent la scène. Le jeune homme s'est agenouillé pour fouiller sa sacoche. Il sent quelques gouttes de sueur sur son front. Se faire remarquer en public, il déteste.

Alain DeGervais a eu le nez fin, Éric ne pensait pas devoir se servir de ce courrier aussi vite. L'agent prend connaissance du document prouvant que les facultés de Noémie Lavil sont altérées depuis son accident.

Il se radoucit, mais demande tout de même à voir leurs papiers.

Le malaise passe, les spectateurs s'en vont désormais vers l'accès à la passerelle d'embarquement.

PSCHIIT !

Alors que l'agent redonne les passeports au jeune homme, ils dirigent tout deux leur regard sur Noémie.

– Oh, qu'est-ce qu'il sent bon ! s'exclame-t-elle en amenant les projections parfumées avec ses mains battant comme des papillons.

– Je vous le paie tout de suite ! précise Éric avant que l'agent ne change d'humeur.

*

Alain DeGervais appelle pour la deuxième fois. Éric revient des toilettes et s'assoit sur l'énorme siège en cuir.

– Vous avez oublié votre téléphone, explique Noémie.

Il vibre toujours lorsqu'elle lui donne.

– Tenez, c'est votre père !

– Non, c'est...

– Ah, voici nos coupes ! s'exclame-t-elle, se contrefichant de sa réponse.

Il préfère ne pas donner plus d'explications et décroche :

– Nous sommes dans l'avion, monsieur DeGervais.

– Vous prenez du champagne ? chuchote Noémie alors que l'hôtesse de l'air se tient devant eux.

Éric fait oui de la tête.

– On se fait plaisir à ce que je vois ! dit l'éditeur. Bon, rien à signaler ? Elle a mentionné des éléments nouveaux ?

Alors que Noémie semble en grand échange avec l'hôtesse, il baisse la voix et lui raconte, dans les grandes lignes, l'épisode des parfums.

– Noémie Lavil ? Elle a peur de son ombre ! J'ai dû batailler plusieurs fois pour la promotion de ses ouvrages, et elle a refusé toutes les opportunités de passage télévisé ! J'ai dû mal à y croire !

– Et bien, elle semblait bien à l'aise, aucun doute ! déclare Éric en regardant la jeune femme.

L'éditeur entend bien l'ironie de son stagiaire. L'hôtesse de l'air vient poser sa coupe de champagne devant lui et précise :

– Excusez-moi, monsieur. Nous décollons bientôt. Je vais vous demander de bien vouloir écourter votre appel, si ça ne vous dérange pas.

– Bien sûr... Je dois vous laisser.

– Prévenez-moi quand vous serez à l'hôtel !

Éric soupire en raccrochant.

– Votre père vous fait des ennuis ? Il n'a pas l'air commode, déclare Noémie.

– Ce n'est pas... commence-t-il blasé, avant de renoncer.

Noémie maintient son chapeau, s'apprêtant à trinquer. 

Éric s'amuse alors d'elle. Après tout, quoi de plus commun que cette drôle de princesse qui boit son jus de tomates dans une flûte en cristal ?

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Je tiens à remercier les nouveaux lecteurs qui arrivent par ici :) !

Drôle de Viennoise [en pause]Where stories live. Discover now