VI. Bananes (2/2)

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Noémie tortille son chapeau.

– Donc, nous allons vivre ici ?

– Oui.

– Vous n'avez pas mieux ?

– Voulez-vous dormir dehors ?

Elle fait mine de ne pas avoir entendu et se pose sur l'unique fauteuil de la pièce.

– Mais qu'est-ce que je fous là ? marmonne Éric en montant son bagage sur la mezzanine.

Noémie chantonne. A croire que ses affaires vont se déballer toute seule.

– Princesse, vous attendez que vos amis les oiseaux et les souris vous aident avec vos valises ?

– Hilarant, Éric, hilarant... La faim ne vous donne pas belle allure. Faut remplir ces pecs boursouflés, non ?

Elle se masse la tête, une grimace de douleur apparaît. Ça attendrit Éric qui ré-imagine la scène de l'accident.

– Vous avez pris vos médicaments ? demande-t-il.

– Non.

Elle sort une plaquette de gélules dans son sac et s'en va se servir un verre d'eau à la cuisine.

– On ne va pas chercher plus loin et suivre les conseils de Grégoire. Dépêchons-nous avant que n'arrive le dernier service !

– Gerhard ! Les prénoms, c'est pas votre fort, hein ?

– C'est pareil ! Bon, vous venez ?!

Son smartphone vibre. C'est son éditeur. Le jeune homme le pose sur le comptoir.

– Il me tape sur le système... Il attendra !

Le Wiener Haus a le charme de ces petites tables authentiques, avec motifs à carreaux sur les nappes, les serviettes et les rideaux. Parmi les odeurs de cuisine flotte un parfum d'encaustique émanant du bois brillant des tables et des étagères.

Piquant de sa fourchette son schnitzel sans ménagement, Éric demande :

– Bon, qu'avez-vous prévu maintenant que vous êtes revenue ?

– Il y a beaucoup à faire. Mais j'ai l'impression que mon accident m'a complètement chamboulé... Quoi qu'il en soit, je dois concentrer mes efforts sur le bal qui devrait avoir lieu dans un mois.

– Dans un mois ?!

– Je crois, oui.

– Non, mais... faut-être sûr et certain ! Je ne reste pas un mois avec vous ici !

– Je crois bien que nous sommes tous les deux très tendus... Une nuit de repos nous remettra sur pied. Il ne faut pas vous braquer comme ça !

– Princesse, je peux me permettre de vous poser quelques questions... Vous savez que si je vous accompagne, c'est parce que vous semblez... désorientée.

– Oui, faites, faites !

– Très bien. Alors, pour commencer : pourquoi vous ne parlez pas allemand ?

– Vous n'avez pris aucun cours d'histoire ? Mes professeurs particuliers étaient tous français. C'est pourquoi ils m'ont laissée à Paris.

– Vos professeurs ?

– Mais non, faites un effort : mes parents !

– Cela tombe bien que vous en parliez. Où sont vos parents ?

– Quelle question, au palais!

– Je ne comprends pas comment ils ont pu vous laisser sortir...

– Vous dites ?

– Vous sentez bien qu'il y a un problème... Qu'est-ce que vous foutez là, avec moi, à loger dans un hôtel, à grignoter une salade dans ce boui-boui ? Pourquoi ne courrons-nous pas au palais ?

– Mais parce que mes parents vivent en Angleterre, vous ne suivez vraiment rien !

Éric persévère.

– Très bien, alors pourquoi vos parents ont-ils quitté le pays ?

– Qu'est-ce que j'en sais ! Je ne les ai pas vus depuis des années. Vous commencez à m'ennuyer !

Noémie quitte le restaurant.

– Attendez !

La culpabilité submerge Éric. Il lance un billet sur leur table et s'en va la rattraper. Elle file sur le boulevard, en direction de leur logement.

– Pardon, je ne voulais pas vous vexer. J'essayais juste de comprendre !

Elle se retourne et il devine sa colère.

– Je m'excuse, vraiment, ne vous mettez pas dans cet état.

– Oh laissez-moi !

Le réceptionniste les salue. Éric récupère la clé, mais Noémie lui prend des mains et se presse pour ouvrir la porte. Revenu dans leur chambre, elle ne manque pas de marmonner dans ses moustaches, tout en défaisant ses affaires de toilettes.

Si au départ, toute l'absurdité de la situation saute aux yeux d'Éric, loin de se laisser manger par le blues, il s'énerve aussi. Et le claquement des bouteilles de parfums et lotions que manipule Noémie avec véhémence, n'aide en rien.

– Où est-ce que vous allez ? lui demande-t-elle alors qu'il remet la veste qu'il venait à peine de poser.

– Je vais boire un verre !

– Vous me laissez, toute seule ?

– J'ai besoin d'air !

Il ne lui laisse pas le temps de répondre et claque la porte.

Drôle de Viennoise [en pause]Tempat cerita menjadi hidup. Temukan sekarang