V. Tasses perchées (2/2)

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– Oh, excusez-moi. Monsieur DeGervais ! Oui, oui... nous sommes... Oui... tout se passe bien... Nous... Non, la princesse est... la princesse... Oui... Nous allons voir... Très bien, monsieur... Très... oui... A plus tard, oui... Et... Rien de neuf sous le soleil viennois... Je dis : rien de neuf sous le soleil viennois !

Noémie écarquille les yeux, implorant de comprendre l'échange entre les deux hommes.

La terrasse du café est pleine, et un groupe de musiciens commence à chanter. Éric doit s'éloigner.

– Je reviens, s'il vous plaît, ne vous sauvez plus, implore-t-il auprès de Noémie.

Il n'a d'autre choix que d'enclencher le haut-parleur pour couvrir les bruits du boulevard.

– Vous disiez, monsieur DeGervais ?

– Vous rappelez-vous avoir ramassé ses affaires, au moment de l'accident ?

– Oui. Pourquoi?

– Il faut que je retrouve son manuscrit !

Éric reconnait bien là son patron.

– Alors, où est-il ?

– Tout est resté dans le placard jaune... Mais, monsieur, qu'est-ce que je fais, maintenant ?

– Justement, je vais pouvoir vous le dire, avec le manuscrit !

– Mais... je ne comprends pas.

– Noémie travaillait sur un roman qui se passe à Vienne ! Alors peut-être que sa lubie et son coup sur la tête, ça a mélangé le tout. Je pense qu'en l'amenant là où est son héroïne, elle pourra sûrement retrouver la mémoire !

Éric jette un œil vers la table. Noémie a dénoué une tasse et elle la porte en collier grâce au ruban de soie qui la retenait.

– Vous me semblez bien optimiste...

– Vous préférez rester deux mois là-bas ?

Le jeune homme connait ses droits. Son patron ne peut le lui imposer. Pourtant, ce n'est pas la solution de se le mettre à dos.

– Regardez sur l'étagère du haut.

– C'est bon, je l'ai !

Il l'entend tourner les pages.

– Ce pavé ! J'ai d'autres chats à fouetter ! Je vous scanne la première moitié et vous l'envoie illico !

L'éditeur raccroche.

– Alors, qu'est-ce qu'il voulait ?

Éric a bien compris qu'il ne pouvait pas lui parler de sa vie d'avant l'accident. Si ça ne tenait qu'à lui, il lui ferait bien une piqûre de rappel, du style « c'est mon patron et votre éditeur, Noémie Lavil. Vous souffrez d'une perte de mémoire passagère et vous prenez pour une princesse Viennoise. »

– Rien. Vous me permettez de repasser à l'hôtel ? demande-t-il en désignant ses affaires et ses cheveux encore humides.

Noémie se lève et prend le chemin du boulevard. Une des serveuses essuyant une des tables l'interpelle, remarquant la tasse que la jeune femme garde négligemment autour du cou. Ô miracle, Éric avait laissé un billet de dix dans sa poche.

It's okay, it's okay ! dit-il en déposant l'argent en signe de paix... et surtout pour finaliser cette transaction commerciale princière.

Il trottine pour la rattraper.

– Je ne vais pas vous courir derrière tout le temps ! annonce-t-il.

– Dites, vous ne préfériez pas qu'on se tutoie ? demande-t-elle en réponse.

Éric ne s'attendait pas à ça.

– Et le protocole ?

Elle s'esclaffe :

– Tu n'y connais vraiment rien !

– Je suppose qu'on se tutoie, sans délai.

Gerhard s'empresse de connaître la situation. Il a beau avoir un costume d'un violet sombre impeccable, sa démarche rivalise de souplesse avec les pigeons que Noémie vient de faire fuir du perron.

– Il n'est rien arrivé de fâcheux, j'espère ?

– Un parisien en manque de caféine !

Puis se tournant vers le jeune homme, elle ajoute :

– Je t'attends ici.

Eric la laisse dans le vestibule.

Alors qu'il termine de s'habiller, il sait qu'un nouveau mail vient d'être reçu. C'est monsieur DeGervais. Il ouvre le PDF et parcourt les titres des chapitres.

L'un d'eux retient son attention : Dans les couloirs de la bibliothèque.

Drôle de Viennoise [en pause]Dove le storie prendono vita. Scoprilo ora