II. Princesse d'Autriche (2/2)

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Le jeune homme s'esclaffe après que la porte se soit refermée.

– Non mais c'est hallucinant, cette histoire !

Alain DeGervais s'avachit sur le canapé.

– La cata... La cata... Non, mais, fallait bien qu'une couille atterrisse dans le potage ! peste-t-il.

Il jette un œil sur la pile que Noémie avait déposé le matin-même, puis lève ses deux doigts pour lui signifier de s'approcher.

– Un deuxième ! Merde... amnésie passagère, schizophrénie plutôt !

Éric lui sert un double.

– Passagère ?

– Oui ! Un caillot à résorber, ça va libérer son cerveau et tout redeviendra comme avant. Enfin, c'est qu'il me semble avoir compris.

– Mais, amnésique à quel point ? Elle se rappelle d'au moins quelque chose ? Et cette idée d'être une princesse ?

– Dur à dire... j'en ai tiré trois mots. Enfin, elle n'a eu aucune réaction quand je lui ai parlé de ses livres, et j'ai dû me présenter... La merde, c'est la merde !

Le jeune homme tente de le rassurer :

– Les médecins ne se seraient pas avancés autant s'ils n'étaient pas certains que ce soit passager, vous ne croyez pas ? Vous avez récupéré les dernières épreuves, tout est signé et approuvé. La nouvelle édition peut être lancée. Vous avez du temps devant vous.

– Oui... oui... J'imagine que si elle se remet au travail, disons dans... un ou deux mois au maximum, il ne sera pas encore trop tard pour la suite.

– Ça va s'arranger, avec le temps. Et, si elle était princesse ?

Alain DeGervais tousse dans son verre.

– Vous avez vu sa dégaine ?

– N'empêche, ce serait marrant, d'avoir une princesse qui écrit...

Alors qu'Éric s'en va reposer la bouteille sur le chariot, Alain DeGervais voit des billets danser devant ses yeux. Noémie entre dans le bureau, l'illusion s'envole mais il la suit du regard.

Une idée semble prendre forme dans sa tête. Est-ce les verres qui l'ont revigoré ? Voilà que l'éditeur semble reprendre du poil de la bête.

– Princesse, est-ce que vous restez longtemps à Paris ?

Éric se retourne, surpris et écoute la réponse que Noémie fait à son éditeur :

– Non, je dois repartir. Vous dites que j'ai été bousculée ? Je devais sûrement me rendre à l'aéroport...

Elle songe un instant.

– Est-ce que vous écrivez des romances ? Vous savez, c'est ce que je fais, je publie des livres.

– La bonne blague, non. Non, je dois absolument regagner Vienne. Je ne dois pas manquer le bal des débutantes !

– Le bal des débutantes ? demande Éric.

– C'est là que sont présentées toutes les célibataires de la Haute Société en âge de se marier, répond Alain DeGervais. Mais pourquoi devez-vous être présente ?

Elle s'esclaffe.

– Pour être introduite à mon tour, voyons !

– Mais, vous n'êtes pas un peu vieille ? lâche Éric.

Alain DeGervais tente de rattraper la chose :

– Un farceur, ce stagiaire !

Mais Noémie fait mine de ne pas avoir entendu. Elle s'avance vers le miroir et sort de la poudre pour masquer ses contusions. Avec ses cheveux hirsutes à travers le bandage et sa tenue débraillée, l'image détonne.

Éric chuchote :

– Je sens que ça va être long. Bon, qu'est-ce que je peux faire, monsieur ? Je préviens sa famille ?

– Cette gamine n'avait personne quand elle est arrivée, et je crois que ça n'a pas changé... Elle vit seule, n'a l'air de passer sa vie qu'à écrire...

– Vous en êtes certain ? Donnez-moi son adresse, je peux peut-être me renseigner auprès de ses voisins. Elle doit bien avoir des amis ?

– Je... je n'en sais trop rien. Franchement, je crois qu'elle n'a vraiment personne.

Le claquement du poudrier de Noémie se fait entendre.

– Bon, je vous remercie pour le thé, et pour... votre aide aujourd'hui. Auriez-vous la gentillesse de me conduire à l'aéroport ?

– Mais... Noém... Princesse, nous serions ravis de vous voir rester plus longtemps à Paris.

– Oh, vous êtes un ange, monsieur Allan...

– Alain !

– Décidément, pouffe Éric.

– ... Mais, je crains de ne pas pouvoir, vraiment. Il faut que je rencontre du monde, que je m'apprête pour le bal. C'est une grande organisation.

Si Éric tente d'être le plus discret possible, les soubresauts de ses épaules trahissent son fou rire.

Monsieur DeGervais dirige son regard du stagiaire à sa poule aux œufs d'or.

– Et puis, j'irais mieux une fois là-bas, j'ai besoin de mes repères, précise-t-elle en désignant sa tête.

– Alors, c'est décidé ! s'exclame l'éditeur.

Noémie l'écoute lui annoncer :

– Éric vous emmènera à Vienne !

– Hein ?

– Parfait, allons-y !

Monsieur DeGervais lui ouvre la porte, elle emprunte les escaliers. Le bruit de ses pas s'éloigne. L'éditeur fait volte-face :

– Ecoutez-moi, Éric ! chuchote-t-il. Je vous donne la carte bancaire de la Maison...

– Mais...

– Il n'y a pas de « mais » ! Céline reviendra à temps plein durant votre absence. Voyez-ça comme votre validation de stage finale. Vous lui collez aux basques, c'est clair ! Vous la bichonnez, vous la suivez, comme son ombre. Je veux un rapport toutes les heures ! Vous comprenez ? Un petit tour en Autriche et vous me la ramenez au plus vite, en bon état et prête à bosser !

Avant que le jeune homme ne réplique, l'éditeur sort à son tour.

– Alors, vous venez ? lance princesse Natila en bas des escaliers.


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Ce deuxième chapitre annonce la couleur, vous ne trouvez pas ? :)

Drôle de Viennoise [en pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant