Chapitre 2

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 Cours d'éducation civique, un de mes cours favori en temps normal. J'aime débattre sur l'évolution de la condition humaine, j'aime argumenter pour savoir où s'arrête la liberté de chacun avant d'empiéter sur celle des autres. J'aime ébranler les convictions de mes camarades de classe et j'avoue, il se pourrais qu'éventuellement, j'aime créer un peu de conflit. Il n'est pas rare que je cherche la petite bête, que je contredise les autres même si je suis d'accord avec eux. À vrai dire, c'est même plus facile, comme ça je sais où sont les failles dans le raisonnement que je pense bon et je peux les souligner plus facilement.

Seulement aujourd'hui, pas de débat, pas de texte à étudier, pas de nouvelles connaissances à méditer, non, juste les explications d'un exposé qui comptera comme seule et unique note pour ce trimestre. Ok, ce n'est pas une matière principale mais je trouve ça un peu abusé, surtout maintenant que je sais que nous allons devoir le faire en binôme. Autrement dit, si l'on tombe avec la mauvaise personne, il ne tient qu'à nous de se taper tout le boulot pour que lui aussi ait une bonne note.

Et c'est là qu'intervient un dilemme en moi. Il est hors de question que je me travaille avec un de mes amis habituels, je veux absolument valider cette matière pour compenser la note catastrophique que j'aurais en maths. Je me tourne vers Paco en espérant qu'il veuille bien de moi comme binôme mais Monsieur Conrad, notre professeur, me coupe l'herbe sous le pied.

— C'est moi qui formerai les groupes de travail.

Tout le monde en va de sa protestation, moi, j'avoue, ça m'arrange assez. S'il souhaite faire des groupes homogènes, j'ai le privilège que ce professeur me catégorise dans le groupe des gourdes écervelées, avec un peu de chance, il me mettra avec quelqu'un de pas trop mauvais.

— Brittany Stevens avec April McCarty.

J'ai dû faire une grimace sur le coup parce que je n'ai pas la moindre idée de qui est cette fille. Je me penche naturellement sur ma droite pour que Spencer me renseigne.

— L'Intello au premier rang, avec le jean et le pull jaune informe.

— Elle est nouvelle, je demande innocemment?

— Brit, elle est dans notre classe depuis deux ans au moins, elle est rédactrice en chef du journal du lycée, a gagné le tournois régionale de débats. Il serait peut-être temps que tu t'intéresse à la vie du lycée plutôt que de griffonner dans tes carnets.

Je n'ai même pas le souvenir d'avoir déjà entendu le son de sa voix. En tout cas, elle sait qui je suis, elle me fusille littéralement du regard trois tables devant et ne semble pas franchement agréable.

Le prof nous propose de rejoindre nos binômes afin de discuter du sujet que nous souhaiterons aborder. Apparemment, ma partenaire n'a pas l'intention de se déplacer, je fais donc le premier pas en installant ma chaise à sa table.

Au passage, je pince discrètement les fesses de Patrick pour le déconcentrer et qu'il ne voit pas qu'Emily est en train de décaler sa chaise. Le stratagème de rate pas et il perd l'équilibre mais se rattrape de justesse à la table de derrière sous les rires de la plupart des élèves. Emily me tape dans la main alors que mon binôme fronce sévèrement les sourcils.

Je calme ma joie en m'assaillant consciencieusement en face de cette illustre inconnue.

— Tu prends tout à la rigolade? demande-t-elle sans même d'introduction à la conversation.

— Bonjour, je lui répond. Moi aussi je suis impatiente de travailler avec toi.

Elle croise les bras sur son pull immonde qui est loin de la mettre en valeur.

— Je ne suis pas d'humeur à plaisanter, il est hors de question que je fasse tout le travail pour que tu en récoltes les lauriers.

— C'est marrant, je pensais la même chose.

J'essai d'examiner à qui j'ai à faire. Teint pale sans le moindre maquillage, un sérieux besoin de coiffeur, elle est pourtant jolie, elle aurait surtout besoin de changer de look et de sortir un peu de la bibliothèque. Et là je vois la faille. Sa main gauche tremble.

Je sais voir quand j'énerve quelqu'un, ça arrive assez souvent. Ma mère a sa petite veine sur le front qui palpite, Kelly sert la mâchoire, Paco les poings, Spencer martèle la table de son stylo mais elle... Rien. Par contre, ce léger tremblement me laisse entendre que son comportement de fille pas commode, ce n'est que du flan. Elle est intimidée par moi, et tente de ne pas se laisser faire. En vain ma petite, je ne me laisse pas avoir comme ça.

— Adeline c'est bien ça?

— April, dit-elle d'un ton qu'elle voudrait sec.

— April, on va arrêter ce petit jeu tout de suite. Je n'ai pas peur que tu m'étouffes dans l'amas de laine que tu portes et je ne compte pas travailler sur un sujet qui ne m'intéresse aucunement non plus. Alors on va faire comme si on était capable de s'entendre pour inscrire quelque chose sur une feuille histoire qu'on puisse faire nos recherches chacune de notre côté, OK?

Elle ravale sa salive et tente de garder un peu de contenance alors qu'il est évident que cette fille n'avait jamais parlé à quelqu'un autre qu'un membre du club d'échec.

— Et je suppose que tu as déjà des idées de sujets, dit-elle presque sure d'elle.

— Je pensais à l'évolution du rôle de la femme dans la société durant le 20ème siècle.

Ses yeux s'écarquillent d'eux même. Ah, je l'ai mouché la petite. Elle pensait quoi? Que je faisais partie de ces filles superficielles qui ne pensent qu'aux mecs, au maquillage ou je ne sais quel cliché sur les filles populaires? Raté.

— Ça me plait, dit-elle.

OK, j'en reste scotchée. Je pensais qu'elle allait au moins vouloir débattre, me contrer, émettre une idée à elle. Soit son air d'intello est une façade, soit c'est une carpette. Oh moins, le sujet me plaira. Son caractère se déclare un peu plus lorsqu'il faut se distribuer les recherches mais c'est belle et bien ce que je pensais. Un beau tapis de sol en laine jaune. Elle n'a aucune particularité, c'est le calme plat niveau personnalité, une timide sans relief. J'en suis presque déçue. Comment a-t-elle bien pu remporter le tournois régional? Enfin au moins, on devrait pas avoir une trop mauvaise note.

Rapprochement improbableWhere stories live. Discover now