Chapitre 7

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— Tu as de la chance d'avoir une voiture, je t'avoue que je n'ai pas le courage de passer le permis de conduire. Puis je ne suis pas certaine d'avoir les moyens d'entretenir un véhicule.

Depuis qu'April est montée dans ma voiture, elle ne cesse de tout expertiser et j'avoue que certains de ses commentaires, comme celui-ci, ont tendance à m'énerver. De plus, il pleut à torrents sur la route, même avec mes phares allumés en plein jour et mes essuies glace à vitesse maximum, je suis obligée de rouler à 20 km/h tellement la visibilité est réduite.

— J'ai travaillé tous les étés en camps de vacances à garder des mômes et à récurer des chiottes pour pouvoir me la payer.

— Oh! Ça doit être très enrichissant de travailler avec des enfants.

Je n'ose pas lui dire que ce n'est pas ces souvenirs là de ces camps d'étés qui ont le plus enrichie ma vie. Ce dont je me souviens essentiellement, c'est de mon premier baiser là bas. Nous étions au bord du lac à admirer les reflets de la pleine lune se refléter sur l'eau sombre, dans la tiédeur d'une nuit d'été peut-être un peu trop arrosée. M'endormant un peu j'avais posé ma tête sur son épaule. Elle avait relevé mon menton, m'avait fixé de ses yeux noirs et avait doucement posé ses lèvres sur les miennes de peur que je ne la repousse.

Oui, il s'agissait d'une fille, et pas de n'importe quelle fille, de la plus douce, souriante, charmante et magnifique monitrice de tous les camps de vacances où j'ai pu travaillé. Ce fut la seule, mais je ne sais pas si se sera la dernière. Le sexe d'une personne ne m'importe peu, ce doit être un des seuls critères pour lequel je n'ai pas de nette préférence.

Un sourire se dessine sur mon visage lorsque ce souvenir m'effleure. C'était un très bel été.

— Très enrichissant en effet.

Je me gare dans mon allée et regrette déjà la proposition que je lui ai fait de venir travailler chez moi. Avec l'énergie qu'elle a déployé à critiquer le moindre détail de ma voiture, je n'ose pas imaginer les monologues qui commenteront mes parents.

Et pourtant, maintenant qu'on est là, difficile de reculer. Il ne reste qu'un diléme: les trombes d'eau qui nous séparent de l'entrée.

— J'ai un parapluie, m'informe mon binôme.

Sous cette cascade de flotte, je ne suis pas certaine qu'il sera très efficace mais pourquoi pas. Nous courrons jusqu'au perron, serrées l'une contre l'autre et bizarrement, ça me parait presque naturel. Trop naturel. Je n'aime pas ça.

Je pousse la porte et m'engage rapidement dans l'escalier en criant pour mes parents.

— J'ai ramené une copine, elle s'appelle April, elle vient pour bosser, merci de ne pas nous déranger!

Et hop, me voilà en haut des marches, l'intello sur les talons, j'ai réussi à esquiver les présentations.

— Une copine? demande April avec un sourire en coin.

— Désolée, la force de l'habitude.

Je n'aurais jamais dû l'emmener ici en fin de compte. Elle pénètre dans mon monde, ou plus précisément dans ma chambre, et jusqu'ici seule ma famille et mes amis proches en avaient eu l'autorisation. Je coupe court à son observation en ouvrant mon ordinateur sur mon bureau et en tirant un tabouret à côté de ma chaise.

— On s'y met?

Elle s'installe avec ses notes et nous commençons.

Je suis impressionnée par ses recherches et le travail qu'elle a fourni, je n'aurais jamais eu la patience et le courage d'en faire de même. Nous terminons enfin ce maudit exposé et je me dis qu'enfin je vais pouvoir la faire sortir de ma vie.

Cette collaboration était beaucoup trop étrange. Cette fille me perturbe. D'abord elle tente de jouer les dures, ensuite de sympathiser, elle me chamboule en dansant comme si elle était d'un autre monde, elle se permet de juger ma vie et ce qui en constitue les principales reliefs mais surtout... et ça je le garderai bien pour moi, depuis qu'elle est assise à mon bureau, je me repasse les images de notre traversée de l'allée sous la pluie.

Quand elle a ouvert le parapluie, un coup de vent lui a fait faire un pas en arrière. Je l'ai attrapé par les hanches pour la retenir. Elle a souris, comme si c'était normal. Ce qui, à moi, ne me semble pas normal du tout. Je fais des choses comme ça avec Kelly, constamment, mais on se connait depuis le jardin d'enfant. J'évite au possible de toucher les inconnus. Mais elle ne s'est pas arrêté là. Elle m'a tendu le parapluie pour que nous affrontions ensemble ce déluge. Sa main touchait la mienne et je ne l'ai senti qu'une fois arrivées lorsque ce contact c'est interrompu. Je n'aime pas ça. J'ai l'impression qu'elle veut qu'on devienne amies alors que moi, tout ce que je demande, c'est de reprendre ma vie comme elle était avant que ce prof ne nous donne cet exposé à faire.

Quelqu'un frappe à la porte, ma mère entre sans même attendre que je ne lui en donne l'accord.

— Chérie? Vous avez terminé?

C'est non sans joie que je lui répond en souriant de toutes mes dents.

— Oui!

— D'accord, mais tu ne peux pas ramener ton amie en voiture, c'est le déluge dehors. Tu vas bien manger là? dit-elle à l'attention d'April. 

Rapprochement improbableWhere stories live. Discover now