Confidences

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- J'ai dit à tout le monde que mon père est un homme d'affaires ultra puissant qui voyage partout dans le monde toute l'année et que c'est pour ça qu'il n'est jamais chez moi. C'est faux. Il est très probablement réellement en Amérique en ce moment mais ce n'est pas pour le travail. Il y habite avec sa nouvelle famille depuis 1 ans.

Je ne m'attendais pas du tout à ça et je sens mon coeur se serrer malgré moi. Perdre son père est quelque chose d'horrible mais se faire littéralement abandonné est certainement encore plus douloureux. Tanguy reste très digne malgré tout et, contrairement à toute à l'heure, il  semble avoir une parfaite maîtrise sur ses émotions. Encore une fois, je l'admire car je ne serai certainement pas capable de parler de mon père aussi facilement.

- Ça va faire un moment déjà et malgré tous mes efforts j'arrive pas à passer à autre chose. Je veux dire, il a détruit ma vie, il nous a fait énormément de mal à ma famille et à moi alors pourquoi je ne peux pas à tourner la page et arrêter de penser à lui ? Pourquoi ? Je le déteste vraiment mais je voulais oublier cette douleur et avoir l'air heureux pour lui prouver et surtout pour me prouver à moi que je n'avais pas besoin de lui. Je crois que j'y suis assez bien arrivé d'ailleurs et peut être même trop bien parce que... - Sa voix tremble et je sens qu'il ne va pas réussir à finir sa phrase alors je la termine pour lui -

- Parce que tout le monde croit que tu as réussi à surmonter ça et que ta vie est parfaite alors qu'en fait tu souffres et que personne ne le voit.

- Oui  -Ils me lance un regard reconnaissant pour me remercier d'avoir mis des mots sur ce qu'il n'arrivait pas à dire - C'est ça. C'est exactement ça. Je savais que tu comprendrais parce que tu sais ce que ça fait pas vrai ? - La conversation prend un tour qui ne me plaît pas du tout parce que je sais au fond de moi ce que Tanguy va dire - De devoir être fort tout le temps. De s'interdire de craquer ou même de ressentir la moindre chose pour protéger sa famille.

Pour le coup c'est moi qui me sens très mal parce que bien sûr que je sais ce que ça fait. Depuis un an je me démène chaque jour pour maintenir ma famille sur les railles et entre ma mère qui n'est jamais à la maison et a développé une passion assez inquiétante pour le wisky et Jenny qui refuse de me parler et a déjà fait une tentative de suicide, je ne peux certainement pas me permettre de me montrer faible.

Mais c'est Tanguy qui raconte son histoire et pas l'inverse. Je lui parlerai un jour c'est sûr mais ce jour n'est pas encore arrivé et il n'arrivera pas avant que moi je l'ai décidé. Je sais que c'est hypocrite de l'avoir poussé  à se dévoiler alors que je suis moi-même incapable de lui confier quoi que ce soit mais après tout, je ne l'ai forcé à rien. Je décide donc de détourner la conversation afin de lui faire prendre un tour plus favorable et moins dangereux pour moi :

- Et dis moi (si ce n'est pas trop indiscret) il y avait quoi sur le papier que tu as retrouvé tout à l'heure ? Celui qui a provoqué...
- Ma crise ? La lettre de départ de mon enfoiré de géniteur. Tu sais, la merde ultra clichée où il dit qu'il tient à toi et à sa famille mais qu'il a besoin d'un nouveau départ et que on sera plus heureux sans lui . Je croyais que je l'avais brûlée mais faut croire que non pas vrai ?
- Ça t'aiderait à tourner la page ?
- Quoi ?
- De la bruler pour de bon ?
- Je...Je ne sais pas trop mais... Vu la réaction que j'ai eu face à ce truc c'est pas une mauvaise idée.

Son autorisation obtenue, je prend les choses en main. Je n'ai pas recouru à une méthode de ce genre après la mort de mon père mais j'ai suffisamment lu d'articles sur les différentes façons de faire son deuil pour savoir comment m'y prendre.

- Ok. Il va falloir que tu choisisses un lieu emblématique de ta relation avec ton père. Un endroit où vous avez passer de bons moments, qui définit vraiment la relation que vous aviez tous les deux. Le but c'est de détruire l'image que tu avais de lui  pour pouvoir passer à autre chose et arrêter de te torturer avec de bons souvenirs.

Tanguy hoche la tête et je vois qu'il a compris. Je décide de le laisser quelques minutes pour lui faire permettre de prendre sa décision mais il m'arrête tout de suite.
- Pas besoin de réfléchir, je sais déjà de quel lieu tu parles.

Sans me donner plus de précisions, il attrape la lettre, un briquet et enfile son manteau en me faisant signe de le suivre. Heureusement, il s'est arrêté de pleuvoir et le soleil de cette fin d'après-midi perce même à travers les nuages. Nous marchons sans parler à travers la lande, lui, perdu dans ses souvenirs et moi, respectant son silence.

Il nous faut une bonne demi-heure de marche rapide pour atteindre le lieu choisit par Tanguy. Nous sommes à la pointe nord de l'île, la partie la plus sauvage mais aussi la plus belle avec ses falaises majestueuses plongeant dans la mer d'encre et ses petites criques de sable fin qui font le bonheur des touristes et des habitants l'été.

Il me tient la main tandis que nous descendons un petit sentier escarpé taillé dans la roche. Une fois arrivé en bas, je découvre une petite plage pourvue d'une jetée en bois. Il est probable que Jenny la connaisse mais en ce qui me concerne, je préfère  (préférais) m'amuser sur la côte plutôt que de randonner dans le froid ici. Ce lieu m'est donc inconnu même si je dois reconnaître qu'il est tout simplement magique, surtout avec le soleil qui commence à plonger dans la mer.

Ombre sur les falaises [En Pause]Where stories live. Discover now