Ombre sur les falaises [En Pause]

La nouvelle

- Mademoiselle O'Brian ? Pourriez-vous me faire le plaisir d'écouter mon cours ?

Réveillée en sursaut, j'aperçois la tête moustachue de Monsieur Gilbert, mon prof de maths, au-dessus de ma table. Pour être honnête, je n'ai pas entendu ce qu'il vient de me dire mais quelque chose me dit qu'il vaut mieux me tenir à carreau.

Je hoche donc la tête en signe d'excuse et il se détourne, non sans m'avoir adressé une bonne dose de reproches supplémentaires. Toute la classe rigole mais j'ai au moins évité la honte de devoir trouver une excuse nulle. Le truc quand vous êtes incapable de parler c'est que les profs sont obligés de vous foutre la paix (il faut bien trouver quelques avantages à mon état pas vrai ?).

Monsieur Gilbert reprend son explication passionnante sur les équations du second degré et moi je recommence à somnoler , la tête entre les mains. Je n'ai pas très bien dormi cette nuit , ni la nuit dernière d'ailleurs .

J'étais obscédée par le fait de trouver une solution à mon problème , ressassant jusqu'au bout de la nuit le nom des personnes qui auraient pu faire du mal à mon père. Et qu'est-ce que j'ai trouvé ? Rien . Absolument rien.

Il était le meilleur homme que je connaissais. Par là je ne veux pas dire qu'il était mon préféré (même si c'était bel et bien le cas), je veux parler d'un point de vue morale. Mon père était honnête , aimable , généreux et jamais il n'aurait fait de mal à une mouche. Que quelqu'un lui en veuille au point de l'assassiner me paraît juste inimaginable.

J'ai essayé d'utiliser mon don mais, hélas, ça ne marche pas comme ça. Mes visions, ce que je ressens peuvent m'aider dans certaines situations (comme samedi par exemple) mais cela reste rare, et aléatoire.

Je pensais que je pourrais me débrouiller seule mais la réalité, c'est que j'aurais bien besoin de quelqu'un pour m'aider. Il est hors de question que j'en parle à Gwen et je n'ai absolument aucun ami à qui je peux faire confiance. Sans compter qu'il n'est pas très aisé de communiquer quand on est incapable de parler.

Plongée dans les réflexions, je m'aperçois qu'une fille vient de s'assoir derrière moi. Ça doit être la nouvelle que le prof vient de présenter mais dont je n'ai aucune idée de l'identité puisque j'étais à moitié endormie.

J'ai un peu envie de me retourner pour voir à quoi elle ressemble mais, finalement, je décide qu'elle n'en vaut pas la peine. Dans une semaine, cette fille sera entré dans la bande des populaires et dans deux, elle commencera à m'appeler Freak ou Bouche cousue (parmi les surnoms mignons qu'on m'a donné depuis que je ne parle plus).

Je la sors de ma tête et n'y pense plus de toute la journée (elle a probablement dû manger tout seule au self mais ce n'est pas vraiment mon problème puisque de toute façon je sors toujours le midi).

À 17h, heure à laquelle je dois me rendre dans le bureau de mademoiselle Gautier étant donner qu'on est lundi je l'ai déjà complètement oubliée.

Tous les lundi depuis un an (chouette vie pas vraie ?) j'ai un rendez-vous avec la psychologue du lycée pour "du soutien émotionnel " ou je ne sais quelle connerie prescrite par mon psychiatre. Comme je ne parle plus du tout, que je me suis éloignée de ma famille, que je n'ai aucun ami et que je suis plus ou moins en échec scolaire ( enfin mes notes sont quand même suffisantes pour ne pas redoubler), je suis tout en haut de la liste des élèves susceptibles de faire une tentative de suicide ou un attentat à la bombe dans le lycée.

Pour rassurer tout le monde, je suis donc obligée de perdre une heure chaque lundi à participer à des thérapies censées m'aider à "tourner la page". Comme je n'ai pas dit un mot depuis le début de nos séances, on pourrait croire que mademoiselle Gauthier aurait jeté l'éponge mais non.

Elle continue à croire que me faire faire des dessins et me parler pendant des heures du deuil et de l'acceptation de la mort me rendra la parole.Je lui en veux pas, je sais qu'elle pense sincèrement pouvoir arriver à m'aider. En fait,si on considère que je n'ai jamais séché ses séances ou quitté la salle en claquant la porte (si je le faisais, je serais encore bonne pour retourner en séances à l'hôpital et ça c'est hors de question) elle est certainement la personne avec laquelle j' ai été la plus sympa depuis 1 ans. Et peut-être aussi que je continue à venir parce que au fond de moi, j'espère retrouver la parole un jour.

Comme tous les lundis, j'arrive donc devant la porte de son bureau, situé dans une aile du lycée tellement éloignée du reste de l'établissement que personne ne vient jamais, et je frappe deux coups pour signaler ma présence.

Mademoiselle Gauthier viens m'ouvrir, portant comme tous les lundis un sweat-shirt décontracté avec un chignon fait à la va-vite et un sourire chaleureux (ce style décontracté est probablement censé mettre les élèves en confiance) et me fait rentrer dans la pièce.

Au début, je ne vois rien d'anormal. Il y a toujours le bureau rangé n'importe comment, les dessins d'enfants collés au mur et les chaises multicolores. C'est quand je tourne la tête vers la banquette rouge au fond de la pièce que je m'aperçois que quelque chose a changé.

Sur le canapé, arborant un visage renfrogné montrant qu'elle est aussi heureuse que moi de se trouver ici, une fille est assise et me dévisage d'un air mi curieux mi hostile. Je ne l'ai jamais vu, ni au lycée d'ailleurs . Ce doit probablement être la nouvelle. je me demande ce qu'elle a bien pu faire pour avoir le droit de rejoindre le club des tarés...

Salut tout le monde ! Je n'ai pas grand chose à dire donc je vous souhaite simplement une bonne lecture et j'espère que vous apprécierez ce chapitre ! 😁⛹️🍁🍐🏍️🎑📲🔵