Gone Days

Mail n°3

De : Kane Suzuki
À : Hana Suzuki
Objet : une douce prise de conscience

Maman m'a appelé hier soir. Elle m'a fait comprendre que ce n'était pas très ingénieux de sillonner le monde alors que bon nombre de jeunes de mon âge sont en train d'effectuer un stage dans une bonne entreprise. Je me suis contenté de lui dire qu'elle avait raison. Tenter de la faire changer d'avis n'aurait servi à rien. Maman ne pourra pas me comprendre. Et ça, c'est parce que la société lui a dit qu'une vie ne pouvait pas être réussie si elle n'était pas accompagnée d'une excellente réussite professionnelle.

Je n'oserais pas prétendre que le travail ne sert à rien, en revanche, je me demande pourquoi les gens lui accordent une telle importance. De nombreuses personnes se sont données la mort parce qu'elles avaient eu le malheur de ne pas avoir eu d'excellents résultats à leurs examens. C'est triste. En tant qu'humains, nous sommes tous détenteurs d'une valeur inestimable, et je n'ai pas peur de dire que ceux qui osent prétendre le contraire ont tort.

Hier soir, je me suis demandé si maman était inquiète pour moi, ou si elle se souciait tout simplement de ce que les gens allaient dire de nous. Jusqu'à présent, j'ai toujours réussi à rendre fiers mes parents. Je pense qu'il n'y a aucune honte à chercher de satisfaire ceux qui nous ont éduqué. Mais parfois, il est nécessaire de faire preuve de bon sens. On ne vit pas pour les gens, mais on vit pour soi. En cherchant à satisfaire la volonté de tout le monde, on en viendra à oublier la personne que l'on veut être. Notre vie se résumera à pratiquer au quotidien le travail qu'un acteur effectue uniquement sur scène. Quel masque prendre devant telle personne ? Quels mots dois-je lui dire ? Tu vois Hana, loin de moi est l'envie de me perdre dans ce genre d'interrogations.

À un certain moment, maman m'a dit quelque chose qui a eu le don de me faire cogiter toute la nuit. Elle m'a assuré que je t'avais laissée tomber. À cet instant, j'ai été tellement outré que je lui ai demandé de développer ses propos. Je pense que j'aurais dû me taire. Elle m'a assuré que tu m'offrais une très belle affection, et que moi, je ne t'en rendais même pas la moitié. J'espère vraiment qu'elle a tort, mais si jamais elle a raison, alors je n'ai pas peur de déclarer haut et fort que je suis sans aucun doute l'un des plus grands imbéciles de cette Terre.

Le matin, quand je me suis levé, je culpabilisais.
Je sais que tu n'as pas eu la vie très facile Hana, mais tu m'as toujours assuré que mon amitié a le don de balayer toutes les petites mésaventures que t'as vécu durant ton enfance. Je ne veux pas te décevoir parce que j'ai conscience qu'un sentiment amer vient saisir notre cœur lorsque nous sommes déçus par des personnes auxquelles nous tenons. Alors, j'espère vraiment que je ne t'ai pas déçu Hana. J'espère vraiment que mon éloignement ne t'a pas vexé. Je ne te fuis pas, tu le sais. Si j'avais pu t'emmener avec moi, je l'aurais fait. Notre arbre généalogique dit que nous sommes des cousins, mon cœur affirme que nous sommes frère et sœur.

Puis maman a tort. Ce long voyage ne m'éloigne pas des personnes que j'aime, bien au contraire. Il vient donner force et beauté aux sentiments que je cultive envers eux. C'est peut-être bête, mais en étant loin de mes parents j'ai réalisé que je les aimais autant que lorsque j'étais enfant. En ce qui concerne mon frère, je peux affirmer avec vigueur qu'il est une partie de mon univers. Puis il y a aussi ces huit garçons. Ces "idiots", comme tu dis. Tu sais dans le fond, je n'arrive pas à les oublier. Et je sais que toi aussi Hana, il y a l'un d'eux que tu n'arrives pas à oublier. Et ça, c'est probablement dû au fait que toi aussi tu es présente, quelque part dans ses pensées. C'est dingue et tellement drôle. Vous êtes liés, je te l'assure.

De la part d'un ami qui ne veut pas t'oublier,
Kane.