Ne jamais dire jamais ?

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Le chemin du retour a été particulièrement long et embarrassant pour moi.

Lorsqu'on arrive chez ma sœur Gabrielle, je sens encore mes joues brûler de honte.

Alors qu'Annabelle court alerter ses parents de notre retour, Alex se rapproche de moi et dit :

— C'est bon, Becca. Relax. Ce n'était rien du tout. Au pire, tu sais ce qu'on dit ?

— Quoi donc ?

— La vérité sort de la bouche des enfants, rétorque-t-il en haussant les sourcils d'un air entendu.

Ses yeux verts pétillants de malice me troublent.

Son petit sourire en coin aussi.

— Ne prends pas tes rêves pour des réalités.

— Je crois au contraire que ta nièce sait plus de choses que tu ne le crois.

— Fiche-moi la paix, Alex.

— Pourquoi, Becca ?

Quand il voit que je ne comprends pas très bien le sens de sa question, il se fait plus précis :

— Pourquoi passes-tu ton temps à essayer de te montrer désagréable avec moi ?

— Je n'essaie rien du tout. Je suis désagréable, point barre.

— Je te connais trop bien pour savoir que tu n'es pas ainsi. En revanche, je ne m'explique pas pourquoi tu fais tant d'efforts pour me repousser ?

Cette fois, Alexander est on ne peut plus sérieux et désireux de (me) comprendre. J'ai l'impression de fondre comme un chamallow sous son regard. C'est l'une des raisons qui font que je veux l'éloigner de moi : pour ne pas succomber.

L'arrivée de Tim me sauve. Je m'écarte d'Alex, comme si j'avais peur de me brûler à son contact. J'affiche aussitôt un semblant de bonne humeur et de décontraction :

— Anna a eu un coup de foudre pour ce sapin. Sois rassuré, on a vérifié les mesures !

Mon beau-frère grimace au souvenir de l'an dernier.

— Merci ! Cela évitera que les murs de la maison tremblent. Je me suis toujours demandé comment une femme aussi menue et douce que Gabrielle pouvait avoir autant de force et de voix !

Je ris avant de rétorquer :

— Je crois que ça se transmet de génération en génération.

— Le caractère bien trempé fait partie des gênes héréditaires aussi ?

Tim et moi tournons la tête vers Alex.

— Si j'étais toi, j'éviterais de dire ce genre de truc en présence de l'une d'elles, blague Timothy.

— Il a raison, fais gaffe.

— Je tremble d'effroi, Muffin.

Je lève les yeux au ciel, tandis que Tim s'esclaffe. Il a l'habitude de nos chamailleries à Alex et moi. Cela a toujours été ainsi.

Annabelle revient vers nous en courant, suivie de près par Gabi et notre père qui est venu à la rescousse pour nous aider à transporter le gros sapin à l'intérieur.

Alexander peut s'estimer chanceux. Leur proximité m'empêchera de l'étriper. Trop de témoins. Et puis, on risquerait encore de m'accuser de ne pas être dans l'esprit de Noël.

*

Alors que l'imposant sapin Nordmann trône fièrement dans le salon, Gabrielle me propose de rester pour le décorer avec eux.

— Oh, oui, tatie ! Reste ! S'il te plaîiiiit.

Comment résister à cette bouille d'ange ? Même si Annabelle me rend parfois chèvre, je suis incapable de lui refuser quoi que ce soit. Encore moins quand elle me fait son regard de Chat Potté et que son visage se fend d'un grand sourire.

Chez nous, c'est une tradition de décorer l'arbre de Noël en famille. Même mes parents ont attendu que j'arrive à Síorghlas pour qu'on décore le leur ensemble. Chose que l'on fera sûrement ce soir, en écoutant des chants traditionnels, avec du lait de poule et des biscuits à proximité. On ne déroge jamais aux traditions chez les O'Callaghan ! D'ailleurs, même si Gabi est devenue une Flanagan en épousant Timothy, elle continue de suivre scrupuleusement nos coutumes familiales.

*

— Qu'est-ce qui s'est passé à la serre entre Alex et toi ? Annabelle m'a raconté que tu étais devenue toute rouge et que tu n'avais presque plus décroché un mot sur le chemin du retour.

— Ce n'était pas vraiment à cause de lui. Enfin, pas directement. Anna a balancé devant tout le monde qu'Alexander était mon amoureux secret.

Ma sœur éclate de rire. Elle pose la dernière tasse de lait de poule sur le plateau que nous allons porter au salon, tandis que j'y ajoute le chocolat chaud aux marshmallows destiné à ma nièce.

— Oh, Becca ! Je suis désolée. J'ignore pourquoi, mais elle est persuadée qu'Alexander et toi devriez être ensemble.

— Mais elle n'a que sept ans et demi !

— Justement, Rebecca. C'est une enfant, et pour elle, rien ne paraît impossible. Elle a même demandé au Père Noël qu'il t'apporte un chéri. C'est dire si elle s'inquiète pour toi.

Moooh. Même si les bras m'en tombent, je trouve ça beaucoup trop chou. Je comprends mieux pourquoi elle tenait tant à ce que je les accompagne à la ferme. Cette petite est rusée comme un renard.

C'est la digne nièce de sa tante.

*

Au salon, nous retrouvons tout le monde dispersé entre le canapé et les fauteuils, prêts à déguster lait de poule, chocolat, et biscuits. Est-ce bien raisonnable vu qu'il est déjà onze heures ? Sûrement pas. Est-ce que cela nous pose problème ? Bien évidemment que non ! On est en période de fêtes, et en plus, c'est dimanche ! Soit LE jour de la semaine où l'on peut faire à peu près tout et n'importe quoi du moment que ça nous fait plaisir.

De toute façon, le dimanche, on déjeune rarement avant quatorze heures.

Gabi et Tim travaillent, car gérer une pension pour animaux n'autorise pas de week-end, mais ils essaient quand même de se libérer du temps pour leur fille, et leur vie de famille.

— Dis, tatie, tu pourras m'aider à chercher les affaires de Noël qui sont au grenier ? J'ai peur d'y aller toute seule, et maman doit retourner s'occuper des animaux avec papa.

— Bien sûr, ma puce.

— Merci ! Je vais aller demander à Alex de nous accompagner. Il pourra sûrement nous être utile.

Je ne peux m'empêcher de rire. Maintenant que je sais ce qu'Annabelle a en tête, je vois très clair dans son petit jeu. J'espère simplement qu'elle ne sera pas trop déçue de voir que tous les vœux ne se réalisent pas... Parce que, très honnêtement, il n'y a aucun risque qu'Alexander et moi formions un couple.

JAMAIS !

Noël sous un ciel irlandaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant