Des idées et des doutes

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- Trois, deux, un : lumière !

Le sapin illumine la pièce plongée dans le noir. Ce spectacle me fait toujours un petit quelque chose au cœur.

- Il est magnifique ! s'exclame ma mère.

- Tout comme toi, ma Laurie, dit-mon père en l'enlaçant tendrement.

Après quarante-deux ans de mariage, mes parents semblent s'aimer comme au premier jour. Je trouve ça beau et émouvant, même si je doute de plus en plus de connaître ce bonheur à mon tour. Mais ce n'est pas le moment de faire grise mine ! L'heure est aux festivités.

Lorsque je suis rentrée de chez Gabi, maman m'attendait pour décorer notre sapin, et papa n'était pas en reste !
On s'est mis à la tâche gaiement, parlant et chantonnant tout en décorant l'arbre de Noël, le salon, et la rampe d'escalier. Pendant ce temps, Oslo dormait dans un carton et ronflait en rythme.

Demain, Papa se chargera d'installer les décorations à l'extérieur de la maison. Tim et Alex doivent lui donner un coup de main. Pour ma part, je compte accompagner ma mère au café-librairie que mon père et elle ont ouvert il y a trente ans, dans le centre du village.

Maman ne l'ouvre plus que deux à trois fois par semaine, papa a déjà pris sa retraite, et elle ne va pas tarder à l'imiter.

Cependant, je sais qu'elle rechigne à le faire, car son commerce a pour elle une grande valeur sentimentale. Ils n'ont pas encore trouvé repreneur, et l'idée que « The Book Nook* » ferme à tout jamais l'attriste énormément. Je crois que papa et elle espéraient au fond d'eux que Gabrielle ou moi, voire nous deux, reprendrions le flambeau. Si jusqu'à très récemment, j'ai toujours clamé haut et fort qu'il en était hors de question, j'avoue que, dernièrement, cette idée m'a effleuré l'esprit.

J'en ai ma claque du métier de rédactrice. Bosser comme une dingue pour avoir aussi peu de reconnaissance en retour, j'ai donné. Certes, j'étais soi-disant, « un élément essentiel au sein de la rédac » et je faisais « un travail formidable », mais on m'a quand même virée du jour au lendemain ! Au final, je réalise que je n'étais qu'un pion parmi tant d'autres.

Gabrielle m'a dit que je pourrais toujours bosser pour un magazine web, ou lancer mon propre webzine, mais en ai-je réellement envie ? Je n'en suis pas si sûre. Je me laisse un mois pour réfléchir. Un mois pour renouer avec la vraie « moi », et mes passions.

En attendant, je préfère ne pas parler de tout cela avec mes parents, car je refuse de leur donner de faux espoirs. Si ça se trouve, d'ici quinze jours, je vais réaliser que j'ai envie de partir à l'autre bout du monde pour commencer à élever des kangourous ou tout plaquer pour devenir astrologue.

Après tout, on ignore de quoi demain sera fait !

*

Ce matin, j'ai laissé Oslo aux bons soins de Papa. Ma mère et moi sommes parties au café-librairie. Cela fait un bail que je n'y ai plus remis les pieds, et je suis excitée comme une puce à l'idée de pénétrer dans cet antre qui a abrité bon nombre de jolis moments.

Petite, j'aimais l'odeur du thé au jasmin ou du chocolat chaud qui embaumait l'air, et j'appréciais encore plus me caler dans un coin, avec un bon livre dans lequel je m'évadais. C'est ici que j'ai commencé à écrire quand j'étais petite. J'inventais des histoires, des personnages qui naissaient dans mon imagination. Oui, mon amour pour l'écriture est né dans cet endroit. Peut-être y renaîtra-t-il ? Qui sait ?

The Book Nook paraît toujours aussi cosy et sa décoration vintage si bien réfléchie continue de lui donner un charme fou. Ce café-librairie est une véritable madeleine de Proust pour bon nombre de gens du coin, et j'en fais partie.

- J'aime tellement cet endroit, dis-je alors que j'entre à l'intérieur du commerce.

- Moi aussi, Becca, répond maman avec un petit sourire nostalgique.

Avant même que je m'en rende compte, mon esprit vagabonde et imagine quelques améliorations pour rendre le café-librairie encore plus attrayant.

On pourrait ajouter un coin gourmand avec des pâtisseries faites maison, un autre avec quelques produits frais locaux, et pourquoi pas inaugurer un club de lecture comme autrefois, ou des ateliers d'écriture ?!

Toutefois, bien qu'emballée par ces idées, je me tais et me balade au milieu des tables rondes, des fauteuils, des livres, et des jeux de société. Je me sens bien ici. À l'abri des soucis du monde extérieur. Comme dans une bulle.

- Tu as fait un boulot splendide ! je m'exclame en observant le sapin qui trône fièrement à l'entrée, ainsi que les nombreuses guirlandes lumineuses qui donnent un aspect féerique aux lieux. Sans oublier les petits sujets posés de-ci de-là sur les étagères et tous les petits détails qui rappellent que oui, Noël approche.

- Ton père, Alexander, et Annabelle m'ont aidée.

- Les nombreuses peluches de Noël dans l'espace pour les enfants sont donc l'œuvre d'Anna !

- Tu as deviné, acquiesce ma mère en riant. Si je ne l'avais pas retenue, il n'y aurait plus eu de place pour que le moindre enfant puisse s'asseoir. Et ce n'est pas tout, elle voulait à tout prix qu'on mette de la fausse neige partout sur le sol du « Book Nook ».

- Sacrée Annabelle, où va-t-elle chercher toutes ces idées farfelues ? je demande, en secouant la tête, amusée.

- Eh bien, à vrai dire, elle me rappelle quelqu'un, rétorque ma mère en haussant les sourcils.

Je m'esclaffe, car j'ai très bien compris qu'elle faisait référence à moi.

- Tu te souviens la fois où j'ai versé en douce des paillettes en forme de coeur sur toutes les tables ?

- Et comment ! On a fini par en avoir autant sur le mobilier que sur nous. Ton père a cru devenir fou, on a mis des heures entières pour réussir à tout nettoyer !

Nous rions en chœur à l'évocation de ce souvenir. J'avais neuf ans et j'avais voulu apporter ma petite touche personnelle pour fêter la Saint-Valentin. Ceci n'étant qu'une petite bêtise parmi les innombrables que j'ai pu faire.

Gabrielle me défendait toujours en disant que je ne manquais pas d'imagination, alors que mes parents se demandaient s'ils devaient en rire ou en pleurer. Je les soupçonne même de s'être demandé si c'était vraiment puni par la loi d'abandonner son enfant sur une route de campagne.

Quelques minutes plus tard, tandis que maman discute avec une habituée du café-librairie, je sursaute en entendant celle-ci s'exclamer d'un air désolé :

- Quel dommage de savoir que The Book Nook vit ses derniers instants ! C'est une institution dans ce village. Il va nous manquer, et toi aussi, Laurie.

- Je sais, Orla. Malheureusement, je n'ai pas le choix. Je ne me sens plus assez vive pour gérer toute seule un commerce. Et nous n'avons pas encore trouvé de repreneur. À moins d'un miracle, ce café-librairie fermera après Noël...

Un soupir triste et mélancolique se fait entendre.

Quant à moi, je n'en crois pas mes oreilles. Je savais que The Book Nook risquait de fermer tôt ou tard, mais pas dans trois semaines. Cela me paraît si tôt ! Et l'idée que cet endroit ferme à jamais me fait un gros pincement au cœur.

Mais, comment empêcher ça ?

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The Book Nook : Le Coin Lecture

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Je vous souhaite de passer un joli weekend ☀️ !

Noël sous un ciel irlandaisWhere stories live. Discover now